« Ceci est la lettre d’une grosse, d’une obèse qui en a marre »

Vous avez une gastro, une entorse ou n’importe quel problème de santé ? C’est à cause de votre poids… Marion, obèse depuis plusieurs années, a subi tous types de violence, mais les plus dures sont venues du corps médical. Elle raconte aujourd’hui, se confie à coeur ouvert sur cette grossophobie médicale ordinaire. Quand consulter devient un cauchemar, un mal qui ronge.

« Moi, Marion, 31 ans, 117 kg. Une patiente comme les autres, enfin c’est ce que je croyais, ou du moins c’est ce que j’espérais… Ceci est la lettre d’une grosse, d’une obèse qui en a marre.

Trop nombreuses sont les personnes dans la société à avoir des préjugés contre les gros. Peu importe la situation dans laquelle on se met : manger dans un resto, prendre à emporter, prendre l’ascenseur ou l’escalator, s’asseoir dans le bus, à l’arrêt… Nous nous faisons juger à chaque pas : « Regarde celle-là comment elle est grosse, si elle faisait du sport et qu’elle arrêtait de manger, elle n’aurait pas besoin de s’asseoir dans le bus. » »

On s’empêche de vivre, car on nous empêche d’exister.

« Aujourd’hui encore, trop peu nombreux sont les espaces adaptés pour les personnes obèses. Les chaises des restaurants, les espaces entre les tables, les sièges de cinéma ou d’avion, les vêtements (sérieusement on est peut-être gros, mais on a aussi envie de s’habiller bien et à la mode), le matériel médical…

Malgré tout cela on VIE, on fait de notre mieux pour trouver notre place dans le peu d’espace qu’on nous laisse pour être heureux. Chaque moment de la vie quotidienne peut devenir un véritable drame, un combat dans lequel on est emmené de force…

Qui parmi les personnes obèses n’a pas connu cette « douce et gentille inconnue » qui attend que ton amie parte aux toilettes, pour t’aborder au café et te dire que tu devrais envisager une sleeve (technique restrictive de chirurgie bariatrique destinée au traitement de l’obésité sévère, qui consiste à retirer les deux tiers gauches de l’estomac) ; qui n’a pas connu les regards, chuchotis, commentaires sur soi, la discrimination dans le monde du travail

Mais s’il y a bien un lieu où normalement on s’attend à être reçue avec bienveillance, c’est bien le milieu médical (au sens large). On s’attend à trouver des médecins, des secrétaires médicales, des ambulanciers… bienveillants. Ne sont-ils pas après tout tenus d’avoir une certaine déontologie ? Une certaine éthique ? Alors que nous sommes aussi comme les autres patients dans une situation de vulnérabilité, nous venons consulter parce que nous sommes malades, et nous nous retrouvons avec un équipement qui n’est pas adapté, et devons affronter des remarques qui sont déplacées.

@MarionSoulier

J’ai de nombreux exemples de discours « agréables ». Ici, ceux que je vais vous citer dans le désordre me sont tous arrivés. J’ai entendu des histoires que je trouve encore plus inadmissibles et qui sont arrivées à des ami.e.s, mais il leur appartient de les raconter. Voici les miennes :

– Il y a eu cette fois où je me suis tordue la cheville, celle-ci a triplé de volume, impossible de marcher, mon assurance me rapatrie chez mes parents. Les ambulanciers viennent me chercher avec un fauteuil roulant et j’ai eu le droit à « vous faites votre poids, dommage qu’on ait donné les béquilles… Vous êtes sûre que vous ne pouvez pas marcher ? ».

– Il y a eu ce premier rendez-vous chez un pneumologue, pas même 5 minutes dans son cabinet alors qu’il est plus gros et plus vieux que moi il me dit crie « jamais vous ne maigrirez ! Il faut vous faire opérer ». Il ne me connaissait pas, il n’a pas cherché à savoir pourquoi j’étais grosse ni si j’étais apte à gérer un déferlement de remarques dures comme celles-là. SPOILERS ALERTES : il ne fallait pas attendre que la consultation se termine pour arrêter, vous n’auriez jamais dû me parler ainsi, et vous auriez dû arrêter bien avant que je commence à pleurer. J’ai eu de la chance de ne pas être seule à ce moment-là, car vraiment après ce déferlement verbal tu te demandes pourquoi tu as le droit de vivre et à quoi ça sert de vivre. Tu as seulement envie de sauter du premier pont venu…

– Il y a eu cet entretien à la médecine du travail, dans ce petit camion, avec à peine la place pour attendre que le médecin soit libre. Un siège en face de la secrétaire médicale, qui me dit devant les deux autres personnes qui attendent « vous devriez envisager une chirurgie, moi ça m’a changé la vie, je me permets d’en parler parce que je l’ai fait. » Ok vous voulez en parler, mais m’avez-vous demandé si je souhaitais en parler ? Connaissez-vous mon histoire ? Non ! Est-ce votre rôle ? Non ! M’avez-vous fait me sentir honteuse ? Oui ! Mal à l’aise ? Aussi !

– Il y a aussi ce cabinet où pour qu’on puisse me prendre la tension, on m’a demandé de tenir le brassard parce qu’il se descratche et ne tient pas, mais c’est le « seul grand modèle… ». Et les sièges étroits que tu regardes en priant de réussir à rentrer dedans parce qu’il n’y en a pas d’autres… Et ce discours moralisateur sur ton poids, alors que ton médecin sait que tu as perdu 15 kg l’année précédente, et qu’elle profite du covid pour t’en remettre une couche à grands coups de « ce sont des gens comme vous, Mme Soulier, qui meurent », alors que le covid tu l’as déjà eu et qu’elle sait que tu es consciente du problème du poids.

– Il y a cette gynéco où tu vas pour ton premier rendez-vous et qui te demande pourquoi t’es vierge à ton âge ? Si c’est à cause de ton poids ? Non, juste je fais ce que je veux en fait.

– Ensuite cet ophtalmo qui te dit « de bien mettre les fesses au fond du fauteuil », qui te regarde puis soupire quand il voit que tes fesses ne vont pas plus loin. Bah oui j’ai un gros cul c’est comme ça.

– Et puis il y a eu ce soir… Ce soir où, ce n’est pas une goutte d’eau qui a fait déborder le vase, mais un torrent de ras-le-bol depuis trop longtemps contenu !

J’ai des antécédents de calculs rénaux. Il y a une dizaine d’années j’ai fait mon premier, et comme j’ai eu une réimplantation des uretères quand j’étais bébé et qu’elles sont maintenant croisées et coudées, le calcul que j’ai eu n’a été que le début de 9 mois d’enfer. J’ai vécu une des pires périodes de ma vie. Je vous épargne le détail des souffrances des sondes double J, d’avoir failli voir mon rein être charcuté pour pouvoir aller chercher le calcul, les souffrances quotidiennes, la peur, l’incapacité d’aller bosser ou en cours parce que j’avais tellement mal, les 3 hôpitaux entre deux régions différentes pour essayer de trouver la solution la moins invasive possible, les différents tests, les échecs, l’isolement dans lequel j’étais face à l’incompréhension de mon travail, la dépression que j’ai fait ensuite, mon diplôme que je n’ai pas pu passer cette année-là… Voilà ma descente aux enfers, mon talon d’Achille.

Mon urologue de l’époque m’avait annoncé qu’au vu de mon âge j’avais 65 % de chances d’en refaire un dans les 5 années qui suivent. Heureuse, j’ai défié les statistiques. J’ai fait attention à ce que je mangeais autant que possible, à bien boire, et à chaque tiraillement ou douleur dans « la zone », je serrais fort les dents pour espérer que ça ne recommençait pas. »

Jusqu’à l’année dernière…

« Dans ma chance, il était plus petit. Il a mis un peu plus de 3 mois à passer, la menace de la pose d’une nouvelle sonde planait et mon angoisse était encore plus grande. Alors quand il y a 2 jours m’est revenue cette douleur affreusement familière qui te fait te plier, celle qui te fait crier et pleurer, ma peur m’a engloutie tout entière. Une de mes amies infirmières m’a dit d’aller aux urgences. Je n’ai pas suivi son conseil, car je n’avais pas envie de surcharger les urgences alors que je savais très bien qu’il fallait que je fasse un scanner pour confirmer ma peur… Je me suis dit que si le lendemain j’avais encore aussi mal malgré mon traitement, là oui j’irais aux urgences.

J’ai appelé ma généraliste pour prendre un rendez-vous, mais pas de disponibilité durant les 2 prochaines semaines, une téléconsultation possible avec sa collègue 4 jours plus tard en fin de journée… J’ai appelé d’autres généralistes, mais malgré les créneaux disponibles le lendemain, ils ne prenaient pas de nouveaux patients. Et finalement, j’ai trouvé un rendez-vous deux jours plus tard. Génial ! Sauf qu’en réalité, je n’imaginais absolument pas que ma consultation se passerait ainsi…

J’ai fait le tour de mes antécédents avec elle (allergies médicaments en cours etc.), je lui ai dit que je venais pour une suspicion de calculs rénaux et je lui ai expliqué les 2 derniers que j’ai eu. Je lui ai dit que ça me faisait peur et que j’avais vraiment eu très mal avec le premier, que c’était une véritable horreur. Je vous passe les détails de son discours là-dessus, mais voici ce qu’elle m’a dit pendant qu’elle me prenait la tension et m’auscultait : « je ne vais pas vous refaire tout le discours des médecins sur votre poids, mais vous n’avez pas envisagé la chirurgie ? ».

Puis elle m’a demandé si je prenais la pilule, je lui ai répondu que je l’avais arrêtée parce que je n’avais plus personne dans ma vie en ce moment et que ça mettait mes émotions dans tous les sens et je voulais voir ce que ça donnait sans. Et 5 minutes après, d’autres blabla entre, « donc pas de rapports sexuels… ? ». Puis « pas de petit-ami dans votre vie ? ». N’avait-elle pas compris la première fois ? Ni la seconde ? Voulait-elle que je lui invente quelqu’un ? Ou que je lui dise que je suis trop grosse pour avoir quelqu’un ? Que je suis vierge et que je n’aurai aucune relation ? Je ne sais pas, mais sur le coup j’ai vraiment hésité à lui inventer ça…

@MarionSoulier

SPOILERS ALERTES : les gros.ses aussi ont des rapports sexuels, mais ils peuvent aussi être célibataires, en fait ils font ce qu’ils veulent. Ensuite elle me demande si je fais du sport, je lui ai dit que non, mais que je marchais car je faisais tout à pied, mais moins depuis le confinement car j’ai récupéré une voiture. Elle m’a demandé où j’habitais et a ajouté que je pourrais aussi bien aller faire mes courses au supermarché à pieds (non, mais sérieusement ?).

Ensuite elle m’a sermonnée parce que je ne suis pas venue jusqu’à son cabinet à pieds. Non, mais en fait je fais ce que je veux, je n’ai pas forcément envie de marcher 40 minutes sous la chaleur et en ayant mal… Et elle m’a dit « le calcul c’est parce que vous ne buvez pas ». Je lui ai répondu qu’au contraire je bois beaucoup plus de 1,5l par jour et elle m’a regardée comme si je mentais. Elle m’a aussi demandé si je grignotais, je lui ai répondu que non. Bouh, mauvaise réponse, son regard me disait « je sais que vous mentez ! ».

Mais SPOILERS ALERTES – de nouveau – TOUS LES GROS NE PASSENT PAS LEUR JOURNEE À BOUFFER ! Elle m’a aussi demandé si je voyais une nutritionniste, je lui ai dit oui et que je suivais ses conseils, grâce à elle et à mon chômage j’ai perdu 15 kg. J’ai dû lui dire où elle consultait. Voulait-elle être sûre que j’y étais bien allée ? J’ai eu cette impression, une fois de plus, qu’elle pensait que je l’avais inventé…

Ses remarques/piques partaient peut-être d’une bonne intention, mais je me suis sentie mal, j’avais l’impression qu’elle ne me croyait pas, que je faisais tout mal et qu’elle me jugeait en permanence. Aucune réponse n’a eu grâce à ses yeux, à peine si elle m’a dit « c’est bien » quand je lui ai annoncé que j’avais perdu 15 kg l’année précédente. Pour quelqu’un qui ne voulait pas me refaire le discours sur le poids elle n’a pourtant pas arrêté de m’en parler… Pour une consultation autour de mon calcul et ma douleur, au final le sujet aura été peu abordé. Alors peut-être que ce rendez-vous désastreux est une accumulation de maladresses de sa part, ou bien du fait que j’étais à fleur de peau, mais aujourd’hui je dis STOP.

J’en ai marre de redouter d’aller chez le médecin et encore plus chez un nouveau, ou de me contenter du médecin que j’ai, parce que ce dernier est plus gentil que les autres même s’il est dur et que ce n’est toujours pas le genre de discours que je souhaite entendre. Il est 23h41… L’entrevue a eu lieu il y a à peine quelques heures et ma colère, mon ras-le-bol n’ont toujours pas baissé. »

GROS, GROSSES, OBÈSES

« Peu importe le nom par lequel vous nous appelez, nous sommes des êtres humains, nous méritons de la considération, de l’humanité, de la compassion et du respect.

Je REMERCIE vivement tout le personnel médical qui m’a, qui nous a, traités comme des patients normaux, à vous qui avez conscience du serment d’Hippocrate, je vous dis MERCI ! À tous les autres qui vénèrent le serment d’Hypocrites, je vous maudis !

Au Conseil de l’Ordre des Médecins, à Monsieur le Ministre des Solidarités et de la Santé Olivier Véran, je vous demande : comment se passe la formation des médecins et du personnel médical & paramédical ? J’ai bien conscience du besoin de recul, surtout face à des situations difficiles. J’ai bien conscience du manque de moyens et d’effectifs qui joue sur la fatigue, la disponibilité, sur les nerfs et les émotions des personnels… Mais à quel moment enseignez-vous, ou faites-vous des rappels de formation autour de la communication avec les patients ? Être à l’écoute, être emphatique…

@MarionSoulier

Avez-vous envisagé de faire intervenir auprès des étudiants, ou lors de formations avec les médecins déjà en exercice, des associations, des personnes obèses pour échanger ensemble ? J’ai fait une formation il y a quelques années sur l’accueil des personnes en situation d’handicap. La formatrice nous avait dit qu’il fallait demander à la personne comment nous pouvions l’aider et non pas décider et agir sans lui en parler.

Le poids, l’obésité, c’est la même chose. Dites-vous bien que nous sommes conscients du problème. Que ce que vous pensez qu’on découvre dans « vos bonnes paroles », on le sait déjà. Essayez de penser que nous ne sommes pas tou.te.s fait.e.s du même bois, que pour certain.e.s vos paroles agressives « pour choquer et provoquer un électrochoc » peuvent juste nous enfoncer un peu plus dans la noirceur et le désespoir.

Qu’est-ce que ça vous coûte de nous demander de quelle façon on souhaite en parler avec vous ? Alors oui, certain.e.s n’ont pas forcément envie d’évoquer leur poids à chaque rencontre médicale, on sait bien que vous, médecins ou personnel médical/paramédical, allez aborder le sujet (peu importe la raison pour laquelle on a pris rendez-vous à la base, un rhume, une allergie…), mais vous n’êtes pas tous obligés d’être intrusifs et durs pour en parler.

Je termine ma lettre en espérant que ces mots, qui me mettent à nue, trouveront un écho chez vous qui la lisez et qu’elle aidera à faire évoluer la situation, les mentalités et éveiller les consciences.

J’espère qu’un jour, moi, Marion, 31 ans, 117 kg, je pourrais enfin être cette patiente comme les autres.

Marion Soulier »

Elodie Pimbert
Elodie Pimbert
Journaliste « touche à tout », je suis Content Manager et rédactrice web pour le média The Body Optimist. Je m'intéresse à des sujets variés (écologie, sexualité, lgbtqia+, beauté, décoration, etc.) et ai à coeur de déconstruire les préjugés, stéréotypes et normes de notre société. Je scrute le web à l’affût des dernières évolutions et tendances. Ce n'est donc pas un hasard si j'écris et fais grandir depuis plusieurs années The Body Optimist.
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