« J’aimais mon corps, jusqu’à ce que je me marie »

Souvent dépeint comme le plus beau jour d’une vie, le mariage unit les cœurs, mais il peut aussi créer une rupture avec l’estime de soi. Entre les essayages chaotiques, le défilé en petit comité face à un public pas toujours tendre, la robe de mariée choisie sous la pression des proches qui jure avec les courbes au lieu de flirter avec, l’objectif du photographe qui se fait envahissant… La relation avec soi-même se détériore à mesure que la cérémonie avance.

La cabine d’essayage, le début du désamour

La fillette que l’on était en a toujours rêvé. Elle s’imaginait un mariage digne d’un conte de fée et se voyait dans une robe de princesse voluptueuse, dotée d’une longue traîne et parsemée de tulles. Elle se projetait sur l’estrade principale, au bras de son beau chevalier blanc, pour s’adonner à une valse. Or, les paillettes qui faisaient scintiller nos yeux à l’évocation du simple mot « mariage » se dissipent dès qu’on franchit le rideau de la redoutable cabine d’essayage, alias la faiseuse de complexes.

Même lorsqu’on vit en harmonie avec son corps et que l’on a une confiance qui nous reste fidèle, ce passage devant le miroir réveille des insécurités lointaines. Entre la vendeuse qui nous fait remarquer que notre morphologie n’est pas la meilleure, les proches qui jugent chaque robe sans peser leurs mots, les lumières peu flatteuses qui font ressortir ce que l’on considère comme des défauts. L’essayage, supposé nous faire sentir comme Cendrillon, nous donne surtout l’impression d’être un brouillon, d’avoir une silhouette inachevée, à perfectionner avant le jour J.

Avant le mariage, on sortait avec des jupes courtes, des robes moulantes, des tops à ras du nombril. Lors des essayages, l’estime se détricote d’un coup. On voudrait avoir une cape d’invisibilité sur les épaules pour disparaître et sortir de ce cauchemar. Les robes qui s’invitent sur nos courbes semblent insulter chaque centimètre de peau silencieusement. Le corps devient un projet temporaire. À affiner. À lisser.

Le corps sous contrôle… pour briller ?

Une fois la robe de mariée acquise, le corps est sous étroite surveillance. Pour pouvoir remonter la fermeture éclair jusqu’en haut au moment de dire « oui » et passer les hanches dans l’étroite ouverture de la robe, on redouble de prudence avec notre poids. On a les yeux rivés sur le moindre petit bourrelet que l’objectif grand angle pourrait capter. On grimpe sur la balance, que l’on boycottait pendant des années pour pointer nos kilos. Si auparavant on se regardait tendrement en face, pendant ce laps de temps qui nous sépare de la cérémonie, on entre en conflit avec notre reflet.

On ne s’appartient plus vraiment. La phrase « il faut que je rentre dans ma robe » devient presque une obsession et met fin au pacte d’amour propre que l’on s’était fait. Le mariage n’est pas vraiment une fête pour l’estime. Le regard qu’on porte sur notre reflet devient celui des autres. Est-ce que je suis assez élégante ? Assez fine ? Assez désirable pour ce moment censé être le plus beau de ma vie ?

La cérémonie comme point de rupture symbolique

Puis vient le grand jour. Le maquillage est impeccable, la coiffure fixée au millimètre et la robe épouse parfaitement les courbes. Pour certaines femmes, ce jour-là est idyllique, sans aucune ombre au tableau, mais pour d’autres, il marque aussi le début d’un éloignement silencieux avec leur corps. Parce qu’on a tellement contrôlé, tellement sculpté, qu’il devient difficile de revenir à une version plus « ordinaire » de soi après. On a travaillé notre sourire de convenance pour anticiper chaque flash sauvage. On s’est entraînées à être photogénique, y compris avec des larmes au bord du mascara.  Ce n’est pas que l’amour disparaît. C’est le sentiment d’avoir été « belle sur commande », et de ne plus l’être « naturellement ».

Inconsciemment, on cherche aussi à susciter ce regard transit que notre partenaire nous a porté devant l’autel, mais sans la robe et les écrins, la magie n’opère plus. On a un peu l’impression de vivre le même retour à la réalité brutale que Cendrillon au retour du bal. Le mariage a peut-être renforcé notre couple, mais il a aussi abîmé notre confiance. On a progressé dans notre relation amoureuse et régressé dans notre rapport à nous-mêmes.

Reprendre possession de son corps après le conte de fées

Et si le vrai acte d’amour, ce n’était pas de se transformer pour un jour, mais de rester fidèle à soi tout au long du chemin ? De se dire que notre corps n’a pas à se conformer à un standard de robe bustier taille 36 pour mériter la célébration, l’amour, et la joie ?

Beaucoup de femmes retrouvent cette conscience après le mariage, parfois des mois ou des années plus tard. Elles redécouvrent leur corps, non plus comme celui d’une « épouse », mais comme un territoire intime, puissant, et libre. Il faut apprendre à le reconquérir et à le chérir. Il faut garder un peu d’amour à se consacrer et ne pas l’investir totalement dans le couple.

On parle beaucoup des vœux échangés le jour du mariage, mais si un seul engagement devait durer à travers les saisons, ce serait peut-être celui-ci : ne plus se trahir pour correspondre à un idéal figé. Jetez-vous des fleurs sans retenue.

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.

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