Dans le sillage de la performance, une autre course se joue – plus silencieuse, plus sournoise. C’est celle du contrôle du poids, du corps, et des chiffres sur la balance. En pleine ascension dans le peloton féminin, Cédrine Kerbaol, cycliste professionnelle et diplômée en diététique, prend le guidon d’un combat bien différent : celui pour la santé et le respect du corps des sportives.
Un cri du cœur en pleine Grande Boucle
Actuellement 10e du général sur le Tour de France Femmes, Cédrine Kerbaol n’est pas qu’une machine à watts. C’est aussi une femme engagée, lucide et résolument humaine. À 24 ans, la Bretonne tire la sonnette d’alarme sur une tendance dangereuse qui gagne du terrain dans les pelotons professionnels : la pression insidieuse d’un corps toujours plus léger, toujours plus affûté, quitte à en oublier l’essentiel : la santé.
Des kilos en moins, mais à quel prix ?
« Ce qui se passe dans le cyclisme n’est pas terrible », affirme-t-elle sans détour. Ce n’est pas un caprice de sportive, ni une lubie médiatique : c’est un fait documenté, visible dans les visages creusés, les os saillants, les menstruations absentes, les blessures à répétition. Car oui, perdre du poids peut faire gagner quelques secondes en montagne, mais à quel prix ? Celui de la fertilité, de la solidité osseuse, de la longévité sportive – et surtout, de l’équilibre physique et mental.
Quand la nutrition devient obsession
Depuis plusieurs années, la performance s’est invitée jusque dans l’assiette. Chaque gramme compte, chaque calorie est analysée, chaque écart est presque vécu comme une trahison envers l’équipe, les sponsors, les objectifs. La tendance s’est imposée avec la montée en puissance des « gains marginaux », où chaque détail est optimisé. Sauf qu’à force de viser l’ultra-performance, certaines et certains basculent dans une logique de restriction excessive, voire de trouble du comportement alimentaire.
🚴♀️ #TDFF | « Le but est de faire de la prévention, avant d’être des athlètes, on est aussi des femmes. »
🗣️ Diplômée en nutrition, Cedrine Kerbaol alerte sur la maigreur extrême dans le peloton. pic.twitter.com/kOcw3AfnTq
— francetvsport (@francetvsport) July 30, 2025
Une pression encore plus forte chez les femmes
Dans les pelotons masculins, on a vu des coureurs comme Remco Evenepoel perdre 1,5 kg entre deux éditions du Tour. Chez les femmes, cette pression peut devenir encore plus intense, tant la visibilité du cyclisme féminin s’accroît. Tout le monde veut briller, progresser, suivre la trajectoire des meilleures.
Sauf que le corps, lui, a ses propres lois, bien plus sages que celles du chrono. « On est dans une période où tout le monde veut aller plus vite, plus fort, être plus légère… Sauf que c’est un process tout ça », insiste ainsi Cédrine. Et ce « process », comme elle le nomme, devrait inclure un mot souvent oublié : la bienveillance.
Un signal à ne pas ignorer : l’aménorrhée
Un corps de sportive, aussi affûté soit-il, reste avant tout un corps de femme, avec ses cycles, ses besoins, ses signaux d’alerte. L’absence de règles, par exemple, est souvent minimisée dans le sport de haut niveau. Et pourtant, c’est un marqueur de déséquilibre. Cédrine est claire : « Ne pas avoir ses règles, ce n’est pas normal ». Ce n’est pas un simple « ajustement physiologique », comme on le dit parfois. C’est un signal rouge. Car sans menstruations régulières, c’est toute la santé hormonale, osseuse et reproductive qui est menacée.
Un compte Instagram pour informer et prévenir
Face à ce constat, Cédrine Kerbaol n’est pas restée les bras croisés. Avec d’autres athlètes et des experts, elle a lancé le compte Instagram @f.e.e.d_powr, un espace d’information, de prévention et de déconstruction des idées reçues. L’objectif ? Parler sans tabou, remettre du corps dans les débats, et rappeler que la santé ne devrait jamais être sacrifiée sur l’autel de la performance.
Un message pour aujourd’hui et pour demain
Son message est aussi simple que puissant : « Avant d’être des athlètes, on est aussi des femmes, et notre santé compte, aujourd’hui comme demain ». Cela inclut la possibilité d’avoir des enfants un jour, d’éviter les fractures de fatigue, de vivre une retraite sportive sans douleurs chroniques.
Ce discours, Cédrine le porte avec une légitimité rare : celle d’une sportive de haut niveau qui connaît les exigences de son sport, mais aussi celle d’une diététicienne formée, capable d’en décortiquer les dérives. Elle incarne cette génération de sportives conscientes, responsables, et déterminées à changer les règles du jeu.
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Son franc-parler, loin d’un discours victimaire, ouvre ainsi la voie à un cyclisme plus humain, plus respectueux, plus inclusif. Où l’on ne glorifie pas une silhouette, mais une force. Où l’on ne cherche pas à effacer les corps, mais à les comprendre. Où l’on célèbre la diversité des morphologies, des trajectoires, des expériences. Alors que le Tour de France Femmes attire de plus en plus de regards, il est urgent de rappeler que la performance ne doit pas être une prison.