« Piggy » : un thriller choc pour alerter sur la grossophobie ordinaire

À quelques jours d’Halloween, l’ambiance macabre éclabousse nos écrans. Après avoir vu et revu les grands classiques à l’instar de Shining ou Massacre à la Tronçonneuse, les nouveautés sanguinolentes s’imposent. C’est le cas de Piggy, un thriller franco-espagnol glaçant dont la sortie en salle est prévue pour le 2 novembre.

Ce film récompensé par cinq prix n’a rien à voir avec les scénarios habituels et grotesques de l’épouvante classique. Derrière son décor lugubre, Piggy fait passer un message subtil sur un acte qui suinte de dégoût : la grossophobie banalisée.

Derrière « Piggy », une femme meurtrie par le harcèlement

Rares sont les films qui explorent le fléau de la grossophobie ordinaire sous l’angle de l’horreur. Et pourtant, c’est le pari fou qu’a fait Carlota Martinez-Pereda avec son thriller criant de vérité Piggy. La réalisatrice, déjà connue pour la série espagnole Alba, disponible sur Netflix, nous plonge dans un univers glauque empreint d’émotions. Loin du schéma humoristique et cocasse à la Scream, Piggy est une sorte de satire de l’adolescence, période sombre où le harcèlement fait office de dénominateur commun.

L’intrigue de Piggy se tient dans un village rural espagnol. C’est les grandes vacances et Sara, protagoniste attachante portée par Laura Galàn, travaille dans une boucherie. En apparence, la vie de la jeune femme semble des plus banales. Pourtant, elle est la cible d’un gang de « filles populaires » qui en veulent à ses courbes. Ces « pestes », comme on les surnomme dans le jargon, la surnomment en choeur « Piggy » sur fond de « groin-groin » malintentionnés. Sara, prisonnière de ce surnom qui signifie littéralement « cochon », est aussi persécutée dans l’intimité du cocon familial. Une hostilité générale semble se greffer à ses rondeurs.

Entre regards méprisants, sous-entendus grossiers et leçons de morale stigmatisantes, Sara, recluse derrière son casque audio, devient la bête à abattre. Piggy porte ainsi la caméra sur les ravages de cette grossophobie internalisée, dégoulinante de haine. Mais Sara qui se pense condamnée à ce quotidien nauséabond connaît un revirement inattendu.

La vengeance conjuguée à l’effroi

Un jour, en se rendant à la piscine locale, Sara croise la route d’un homme costaud à la carrure titanesque, jamais vu auparavant. Cette rencontre surprise marque le point de départ d’une vengeance au goût sanguinaire. Cet étranger sorti de nulle part, est en fait, l’équivalent monstrueux de l’ange gardien tel qu’on le connaît.

Sous les yeux intrigués de Sara, l’homme kidnappe ses bourreaux et leur inflige les pires châtiments. Un revers de la médaille imbibé de scènes gores qui déchire Sara entre satisfaction sadique et empathie naturelle. Alors que la honte corporelle et le dégoût de soi se transforment en une complicité déconcertante avec la violence, Piggy pousse les tourments de la jeunesse à leurs fins naturellement mauvaises.

Sara, elle, se retrouve dans une position délicate. Elle doit choisir entre sauver ses détracteur.rice.s ou les laisser à la merci de cet homme, sauveur enragé. Piggy ausculte l’animosité sous toutes ses formes, de la plus familière à la plus cruelle. Avec ce portrait tortueux du harcèlement, ce film confronte l’ordinaire au spectaculaire et glisse des électrochocs crescendo.

Finalement, cette grossophobie endémique suspendue à Sara convoque des démons intérieurs et des angoisses profondes qui trouvent ici un écho dans le sinistre. Piggy dépeint de façon abstraite cette force primitive contenue dans chacun des Hommes, le tout saupoudré d’un suspense insoutenable.

Un film féministe aux accents body positive

Ce film est une fable résolument moderne qui s’attaque à de gros morceaux de la société à savoir le harcèlement, le body shaming et la grossophobie. Contrairement aux autres films du registre de l’horreur, Piggy expose une réalité acerbe avec tact et justesse. C’est une œuvre socialement consciente qui retourne les estomacs, mais aussi les mentalités.

Au-delà de sa morale frappante, Piggy propulse une actrice ronde au premier plan. Laura Galàn prend son rôle d’anti-héroïne à bras le corps, ce qui infuse une dimension encore plus percutante au film, déjà bien armé côté symbolique. Sa performance oscille entre mises à nu courageuses et interprétation fidèle d’une douleur de l’âme. En s’affichant sans fards, elle tord le cou aux diktats, omniprésents dans le milieu très sélectif du 7e art.

Preuve d’une maîtrise brillante de son personnage, l’actrice a reçu le titre de meilleure actrice au festival du film espagnol de Toulouse, le Méliès d’Or au festival de Sitges et le Méliès d’Argent au festival européen du film fantastique de Strasbourg. Elle est en passe de devenir une référence féministe du cinéma, tout comme la réalisatrice de Piggy.

Inspirant, incisif et palpitant, le thriller Piggy vole bien au-dessus de l’étiquette divertissante. C’est une œuvre hors normes, propice au questionnement sur notre rapport avec les autres. En plus de nous faire frissonner de peur, Piggy ouvre la brèche de la diversité corporelle. Voilà de quoi enrichir joyeusement son capital tolérance. 

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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