Voici comment les avatars des jeux vidéos participent à la construction de soi

Manette ou clavier en main, les pouces s’activent pour façonner des identités virtuelles parallèles. C’est certainement le moment le plus satisfaisant du jeu. Ces avatars, customisables de la tête aux pieds, peuvent nous incarner fidèlement ou au contraire être une version idéalisée ou fantaisiste de nous-mêmes. Un luxe de l’image seulement permis au milieu des pixels. Ces protagonistes du gaming, qui ont longtemps été « prédéfinis » et sur lesquels nous n’avions aucun pouvoir, s’ouvrent désormais à toutes les retouches. Les avatars des jeux vidéos ne se contentent pas de « meubler » les parties, ils influencent qui nous sommes dans la vraie vie.

Les avatars des jeux vidéos, un puissant moyen d’expression

Dans certains jeux vidéos « d’anticipation » à l’image de « The Last of Us« , l’avatar est directement imposé. Impossible d’y apporter des modifications ou de lui refaire une mise en beauté. Nous devons nous mettre dans la peau de la jeune Ellie, une héroïne lesbienne badass qui évolue au coeur d’un monde apocalyptique, rongé par un champignon mutant. Même si nous n’avons aucun point commun avec son histoire, elle se transpose naturellement sur nous. Cependant, d’autres jeux nous laissent carte blanche sur l’apparence de l’avatar.

C’est le cas des Sims, jeu de simulation de vie qui est passé entre de nombreux doigts. Les versions les plus récentes ont élargi les options pour coller à tous les profils. Il n’est plus seulement question de rafraîchir une coupe ou de farder les visages. Désormais, nous pouvons rectifier la couleur de peau, préciser l’orientation sexuelle, grossir ou amincir le corps et même attribuer des particularités physiques. Dans la dernière formule des Sims, nous avons la possibilité de répartir des tâches de vitiligo sur la silhouette de notre avatar.

Qu’il s’agisse de calquer nos propres traits sur cet alter ego virtuel, de lui donner l’étoffe de nos fantasmes ou de le pimper en totale contradiction avec notre réalité, les avatars des jeux vidéos nous offrent le privilège d’explorer des identités alternatives. Nous pouvons leur mettre des cheveux bleus, les cribler de tatouages ou leur décolorer les sourcils si ça nous chante. Avec les avatars des jeux vidéos, nous nous affranchissons des « normes » et nous dynamitons ces fichues cases. Nous ne cédons pas seulement à des préférences esthétiques, nous apportons du relief à ce désir d’être soi. Les avatars des jeux vidéos ont une fonction désinhibante. Nous nous accomplissons à travers eux.

Quand les avatars « formatés » déteignent sur nous

Les avatars des jeux vidéos agissent sur notre psyché comme un effervescent et pas seulement lorsqu’ils sont le fruit de notre imagination ou de notre folie créative. Même lorsqu’ils sont imposés, ils font buvard sur notre façon d’être. Que nous soyons dans le costume de Lara Croft ou de Mario, notre attitude sera radicalement différente. D’ailleurs, au cours d’une expérience, des chercheurs des universités américaines d’Austin et de Cornell, sont venus confirmer ce curieux effet de mimétisme. Ils ont assigné des avatars similaires à deux groupes distincts de joueur.se.s. Le seul point de distinction : la couleur de la cape du personnage.

Une moitié avait une cape blanche et l’autre moitié une noire. Le premier groupe avec le drap obscur sur les épaules s’est révélé plus agressif au fil de la partie et plus « individualiste ». Par mesure de logique et besoin de cohérence, le cerveau assimile le noir au mal et le blanc au bien, ce qui explique cette réaction violente et antisociale. Pourtant, ça ne veut pas forcément dire que ce sont des êtres dépourvus de morale ou des bourreaux nés. Nous nous alignons sur ce que représente le personnage à nos yeux.

Alors forcément si nous campons Eivor dans Assassin’s Creed, nous n’allons pas faire ami-ami avec nos adversaires, mais bien les réduire en bain de sang. Tout comme nous n’allons pas insulter nos voisins dans « Animal Crossing«  (même si parfois, l’envie nous démange), simplement parce que l’ambiance ne s’y prête pas. Selon la stature, l’aura, le charisme ou encore le gabarit des avatars de jeux vidéos, nous n’aurons pas les mêmes intentions.

Les avatars des jeux vidéos entretiennent aussi certains clichés

Si les avatars des jeux vidéos peuvent être conformes à nous-mêmes et nous faire « mûrir », ils font aussi l’apologie des corps « parfaits » et ultra sexualisés. Les héroïnes y sont souvent dépeintes dans des silhouettes à la fois juvéniles et plantureuses. Toutes les protagonistes badass semblent condamner à arborer des hanches larges, une poitrine généreuse, un fessier bombé et un visage quasi enfantin.

Bayonetta, la sorcière aux courbes aguicheuses ou Jill Valentine, la crocheteuse de serrure en combinaison moulante. Les femmes de l’autre côté des écrans sont taillées dans les « canons » de beauté. Malgré leur personnalité frondeuse, elles sont pensées comme des objets de désir. Et ce portrait de fiction se superpose tristement au monde palpable. Selon une étude, l’exposition à de telles images muscle la tolérance des participant.e.s au harcèlement sexuel.

L’importance de la diversité pour avoir la main libre sur son avatar

Il y a quelque temps, les avatars des jeux vidéos étaient assez hermétiques à la diversité. Nous devions alors nous contenter d’une morphologie standard, d’une carnation qui n’allait pas plus loin que le « beige » et d’un visage « artificiel ». Difficile de se retrouver dans un dérivé virtuel de Barbie ou Ken… Cependant, les jeux vidéos d’aujourd’hui insistent sur l’inclusivité et étirent un peu plus leurs paramètres. Même si les avancées se sont faites assez « timidement », elles sont tout de même à saluer.

Dans « Animal Crossing New Horizon », sorti sur Nintendo Switch, les coiffures à disposition sont bien plus étoffées. Nous pouvons orner la tête de notre personnage de dreads ou de cheveux crépus. Une révolution symbolique. Le jeu « Tell me why », lui, met en vedette un héros trans. Il prend le soin de bien contourner les stéréotypes. Dans « Wolfenstein II : The New Colossus », le récit se focalise sur Blazkowicz, un soldat cloué à un fauteuil roulant des suites d’un accident.

Tous ces jeux contribuent ainsi, à leur niveau, à la visibilisation des « minorités » ou des « marginalisés ». Ils permettent de mouler des avatars à notre image. Des jumeaux qui nous reflètent dans le détail et retranscrivent nos différences avec justesse. Ils tiennent compte de la richesse des identités humaines. Plus question donc de nous résoudre à une caricature grossière qui contredit qui nous sommes.

Bien plus que de simples « pions » que nous déplaçons à notre guise, les avatars des jeux vidéos sont des extensions virtuelles de nous-mêmes. Ils élèvent notre singularité en force. D’où l’urgence de les rendre plus flexibles lors de la mise en forme.

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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