Jennifer Lopez marque une nouvelle étape dans sa carrière déjà prolifique. Dans « Kiss of the Spider Woman », une adaptation cinématographique du célèbre musical de Broadway, l’artiste incarne un double rôle à haute intensité symbolique : Ingrid Luna, diva de cinéma imaginaire, et Aurora, une sirène mystérieuse. Avec cette performance, Jennifer Lopez s’attaque à un archétype hollywoodien souvent figé – celui de la femme fatale – pour en proposer une relecture plus nuancée, plus actuelle et plus ancrée dans une perspective féministe.
Un rôle emblématique
Basé sur le roman de Manuel Puig (1976) et le musical de 1993 signé Kander et Ebb, « Kiss of the Spider Woman » met en scène deux prisonniers dans une dictature sud-américaine : Valentín, un révolutionnaire marxiste (interprété par Diego Luna), et Molina, un décorateur de vitrine homosexuel (Tonatiuh), condamné pour « comportement immoral ». Pour échapper à la brutalité de leur détention, Molina s’évade mentalement en imaginant des scènes avec son idole, l’actrice fictive Ingrid Luna.
C’est dans ce rôle de star de cinéma rêvée que Jennifer Lopez intervient – à la fois muse, projection et outil de résistance mentale. Son interprétation ne se contente pas de séduire : elle trouble, interroge et subvertit les attentes associées à la figure classique de « la femme fatale ».
De l’objet du désir à sujet politique
Historiquement, la « femme fatale » est un personnage façonné par le regard masculin : séduisante, mystérieuse, souvent manipulatrice, elle est généralement punie pour son pouvoir. En incarnant ce rôle avec un regard contemporain, Jennifer Lopez – également productrice du film – redonne à ce personnage une subjectivité trop souvent niée.
Dans les séquences musicales somptueusement mises en scène par le réalisateur Bill Condon (« Dreamgirls », « La Belle et la Bête »), Jennifer Lopez joue avec les codes esthétiques du glamour hollywoodien tout en insufflant une profondeur émotionnelle à ses personnages. Elle ne se contente pas d’être une chimère provocante : elle devient un vecteur de survie, un canal d’expression queer, une figure de résistance.
Un engagement féministe en filigrane
Le casting de Jennifer Lopez dans ce rôle iconique s’inscrit dans une dynamique de revalorisation des artistes féminines de plus de 50 ans – souvent reléguées à des rôles secondaires ou stéréotypés. En participant à ce film, Jennifer Lopez affirme non seulement sa place comme actrice principale, mais elle revendique aussi la légitimité des femmes racisées dans des rôles complexes, historiquement réservés à d’autres.
Son implication dans la production du film – aux côtés de Ben Affleck et Matt Damon via Artists Equity – confirme également son engagement à influencer les récits à l’écran, et pas seulement à y participer.
Une œuvre entre mémoire queer et spectacle engagé
« Kiss of the Spider Woman » a toujours été une œuvre à forte résonance politique. Le personnage de Molina, souvent interprété avec profondeur dans les précédentes adaptations, est ici confié à Tonatiuh, jeune acteur queer d’origine latino-américaine.
Dans cet univers, la « femme fatale » n’est pas une ennemie : elle est un fantasme salvateur, un mythe réapproprié par ceux qui en ont été exclus. Le personnage joué par Jennifer Lopez n’est plus seulement là pour faire « tourner la tête des hommes ». Il devient le centre d’un monde parallèle où la beauté, la performance et la féminité deviennent des armes contre la violence de l’enfermement.
Vers une relecture contemporaine des figures féminines du cinéma
La participation de Jennifer Lopez à « Kiss of the Spider Woman », en tant qu’actrice et productrice, illustre une volonté forte : celle de bousculer les récits traditionnels du cinéma américain. Elle ne joue pas une « femme fatale » pour flatter la nostalgie du public, mais pour en interroger les contours. Et dans une industrie qui continue de résister à l’évolution des représentations, ce geste est aussi artistique que politique.
Avec cette œuvre, Jennifer Lopez confirme ainsi son statut d’icône. Une icône qui ne se contente plus d’incarner les « fantasmes des autres », mais qui écrit les siens – pour elle, et pour toutes celles à qui on a trop longtemps dit que le temps des femmes était compté.