Le Japon compte désormais plus de chats et de chiens dans les foyers que d’enfants de moins de 15 ans. Ce phénomène, reflet d’un profond changement sociétal, illustre le recul de la natalité, le vieillissement de la population et un recentrage des priorités vers les animaux de compagnie.
Un déclin démographique historique
Le Japon connaît depuis plusieurs décennies un déclin démographique sans précédent. En 2024, le taux de fécondité avoisinait les 1,26 enfant par femme, loin du seuil de renouvellement des générations (2,1). Parallèlement, près de 29 % de la population est âgée de plus de 65 ans, faisant du Japon l’un des pays les plus âgés au monde.
Ce contexte démographique pèse lourdement sur le tissu social et économique du pays. Les jeunes générations, confrontées à un marché du travail exigeant, à une pression sociale intense et à un coût de la vie élevé, retardent ou renoncent à la parentalité. Dans ce vide affectif et symbolique, les animaux dits de compagnie prennent une place croissante.
Les animaux : nouveaux membres de la famille
Au Japon, les animaux ne sont plus seulement perçus comme des compagnons : ils sont devenus des membres à part entière de la famille. Ils ont des vêtements, des poussettes, des cérémonies d’anniversaire, et parfois même… des funérailles organisées dans des temples bouddhistes.
Cette affection se traduit aussi dans les dépenses : les familles japonaises n’hésitent pas à consacrer un budget important à leurs animaux. Selon une étude de l’Association japonaise des produits pour animaux, les dépenses annuelles moyennes pour un chien dépassent les 1 500 euros, incluant alimentation spécialisée, soins vétérinaires, toilettage, et accessoires.
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Une parentalité reportée… ou remplacée
Pour de nombreux jeunes adultes japonais, adopter un chat ou un chien devient une alternative émotionnelle et pratique à la parentalité. Les contraintes liées à l’éducation des enfants – coût élevé, manque de soutien public, pression professionnelle – rendent la perspective d’avoir une famille difficile à envisager. En revanche, les animaux apportent compagnie, affection et un sentiment de responsabilité, sans les engagements sur plusieurs décennies qu’implique l’éducation d’un enfant.
De plus, dans une société où les femmes sont encore confrontées à de fortes attentes en matière de rôle familial, certaines choisissent de se tourner vers les animaux pour ne pas sacrifier leur carrière ou leur indépendance.
Le reflet d’un malaise sociétal ?
Ce glissement vers une société où les berceaux se vident pendant que les animaleries prospèrent n’est pas sans inquiéter les autorités japonaises. Malgré les efforts gouvernementaux pour « relancer la natalité » (allocations, congés parentaux étendus, soutien à la garde d’enfants), les résultats restent limités. Le choix croissant d’avoir un animal plutôt qu’un enfant devient un symbole silencieux du désengagement vis-à-vis d’un modèle familial traditionnel devenu peu attractif, voire oppressant.
Certaines voix soulignent néanmoins qu’il ne s’agit pas uniquement d’un phénomène négatif. Ce tournant reflète également une nouvelle sensibilité au bien-être animal, ainsi qu’un rejet de normes sociales figées. En cela, le Japon pourrait préfigurer des évolutions similaires dans d’autres sociétés confrontées à des dynamiques démographiques comparables.