Welcome to Chippendale (Disney+) : pourquoi le cinéma est-il plus clément avec les strip-teasers ?

Disponible depuis le 11 janvier sur la plateforme de streaming Disney+, la série Welcome to Chippendale porte à l’écran l’histoire vraie du premier club de streap-tease masculin. Cette création déployée sur 8 épisodes lève le rideau sur un empire passé de la lumière glorieuse à l’obscurité la plus profonde. Derrière les paillettes, les abdos reluisants et les danses lascives en slip moulant se cachent un thriller happant.

Mais au-delà de son intrigue vertigineuse, Welcome to Chippendale s’attaque aussi à la représentation de « l’homme objet ». Curieusement, lorsqu’un strip-teaser se prête à quelques jeux de hanche enrobée dans du latex, la scène sonne « fun ». À l’inverse, une femme perchée sur des échasses de 15 cm en plein flirt avec la barre de pôle dance jure avec la décence. Du moins, c’est ce que sous-entend la culture pop. 

De quoi parle la mini-série Welcome to Chippendale ?

Après le film Magic Mike, caricature potache du strip-tease masculin, en partie monopolisé par la carrure herculéenne de Channing Tatum, c’est au tour de la série Welcome to Chippendale de faire ses preuves sur petit écran. La série, en ligne sur Disney+ depuis le 11 janvier, révèle les dessous peu ragoûtants de l’invention des « Chippendale ». Inspirée de faits réels, elle tire le portrait de Steve Banerjee, un immigré indien bercé par l’american dream devenu la figure de proue d’un phénomène planétaire.

Dans les années 70, cet homme, appâté par la « fame » et les « success-story », place toutes ses économies dans un bar vétuste. Malgré un début chaotique, l’entrepreneur voit sa carrière décoller suite à son premier show d’effeuillage masculin. Son concept parfumé de testostérone est un véritable carton.

Mais dans les coulisses de ce business floqué « +18 », de sordides méthodes se trament à pas feutrés. Cocaïne, escroquerie, meurtre, mensonges… le « king » des Chippendale est prêt à braver les pires atrocités pour faire prospérer son arène du « sex appeal ». Au fil de Welcome to Chippendale, Steve Banerjee se dévoile comme un monstre déguisé en costard-cravate. Perché sur sa montagne de billets verts, l’homme d’affaires est envenimé par le crime. Ce côté pervers gonflé par la « réussite » le conduira à sa propre chute.

Le show des Chippendale, toujours sur fond d’humour

Bien qu’elle reste globalement superficielle et extravagante, la série Welcome to Chippendale se laisse regarder. Si elle gravite principalement autour du personnage insaisissable qu’est Steve Banerjee, la saga true crime donne aussi un coup de projecteur sur le milieu très sellette des Chippendale.

Corps lustré à l’huile de jojoba, manchette et nœud pap’ arborés torse nu, chorégraphie sensuelle… cette image supposée « torride » suscite encore la rigolade collective. Dans l’imaginaire, un strip-teaser n’est qu’une « simple blague » prévue pour animer les enterrements de vie de jeune fille. Assez peu fétichisés, les Chippendale traduisent plus un rire qu’un plaisir. Certes, la série Welcome to Chippendale s’éloigne de cette réputation « kitsch » en professionnalisant ces intermittents du spectacle à la plastie « armée ». Mais rien n’y fait. La mise en abîme prend encore une tonalité « loufoque ».

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les strip-teasers se font si rares à l’écran. Comptez seulement trois films avec cette thématique fil rouge contre une quinzaine en version féminine. Les Chippendale ne sont pas aussi « vendeurs » qu’une strip-teaseuse fantasmée derrière porte-jartelle, bas résille et corset vermillon. Le cinéma n’est qu’un miroir fracassé de notre société. Il est imprégné de « standards » et de « normes », calfeutrés sous l’étiquette de la « fiction ». La lecture du « strip-tease » d’un genre à un autre l’illustre avec brio.

Les strip-teaseuses au cinéma, entre érotisation et soumission

Au cinéma, les strip-teaseuses sont plus proches des actrices de film X que des danseuses de profession. Que ce soit dans Showgirls ou Striptease, les femmes se livrent à des performances érotiques, voire grossières, sous les yeux d’hommes affamés.

Elles sont présentées comme des proies et les hommes comme des lions en cage. D’un coup de liasses, les clients masculins réduisent les strip-teaseuses en sombre « marionnettes sexuelles », allant parfois jusqu’à l’agression.

Contrairement à la série Welcome to Chippendale, les œuvres cinématographiques autour du strip-tease féminin sont plutôt rabaissantes. Les strip-teaseuses sont confinées dans des rôles de « pimbêche vulgaire et vénale » tandis que les strip-teaseurs conservent un libre arbitre.

Dans le cinéma mais aussi les clips, les strip-teaseuses sont encore engluées dans une dictature de mâle alpha. Le regard porté sur elles est malsain. Mais malgré tout, il se superpose à une vérité cuisante : l’hypersexualisation du corps féminin.

« Le strip-tease féminin met l’accent sur le comportement torride et l’idolâtrie sexuelle, tandis que le strip-tease masculin met l’accent sur les concepts de plaisir, de comédie, d’éléments romantiques et de faire en sorte que quelqu’un de spécial se sente sexy », constate Tom Harvey, strip-teaser à l’origine du blog Goldcoastmalestripper

Un manque cruel de représentations qui fausse les scénarios

Si aux États-Unis les Chippendale sont de véritables institutions, détrônant presque l’Oncle Sam, ce n’est pas forcément le cas dans tous les pays. La France, par exemple, ne compte aucun club de strip-tease masculin. Hormis des événements ponctuels, impossible de se rincer l’œil devant des playboys. Au Royaume-Unis, sur les 300 clubs de strip, seuls trois proposent à leur carte un supplément « masculin ».

Le seul flash qui arrive en tête à l’évocation des strip-teasers est ce faux gendarme aux menottes en fourrure, ridiculement sauvage. À l’inverse, la strip-teaseuse, elle, incarne les désirs masculins les plus inavouables. Du moins c’est l’idée que la plupart s’en font. En effet, Welcome to Chippendale déroule une histoire vraie, gardant ainsi un oeil plus objectif sur les strip-teaseurs.

Mais dans les deux camps, les représentations sont très stéréotypées. Traduction : une femme sexy est forcément immorale alors qu’un homme sexy est toujours drôle ou second degré. Avec des références aussi limitées, le cinéma fait inévitablement l’amalgame. Une couche de male gaze par-dessus et c’est le clou du spectacle.

Un lien indirect avec les inégalités de genre

La docteure Maren Scull de l’Université du Colorado est allée voir ce qui se passait vraiment sous les jupons du strip. Pendant 18 mois, elle a mené entretiens et analyses dans un club de strip-tease masculin. Son bilan est édifiant.

Les hommes, même avec un microscopique bout de tissu sur leur pénis, disent garder le « contrôle ». Ils « se sont activement positionnés de manière à se contrôler physiquement et à malmener les membres féminins du public« , sans que cela ne soit choquant. C’est une construction sociale soit l’effet buvard des normes patriarcales.

« Tout comme les études sur les strip-teaseuses, j’ai découvert que le club de strip-tease était un espace où la masculinité dominait et était satisfaite », conclut le Dr Scull

Welcome to Chippendale tente d’aller au-delà de ces clichés aussi collants que du latex. Au cinéma, l’univers du strip-tease renaît d’ailleurs sous des formes plus inspirantes. Même si strip-tease et féminisme paraissent totalement contradictoires, certains films comme « Tournée » les font coïncider sur fond de girl power et de libération sexuelle.

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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