À première vue, elles ont tout pour elles : un regard perçant, des courbes dites harmonieuses selon les standards de la société, un style impeccable. Sauf que…
Une nouvelle génération de beauté numérique
Elles s’affichent sur Instagram, collaborent avec des marques de luxe, posent pour des campagnes publicitaires et font la Une de magazines de mode. Pourtant, elles n’existent pas réellement. Ces mannequins, influenceuses ou personnalités visuelles ne sont ni humaines ni réelles : elles sont générées par l’intelligence artificielle ou modélisées en 3D.
Bienvenue dans l’univers des mannequins virtuels. Les mannequins IA sont des créations entièrement artificielles, conçues par des studios ou des artistes numériques. Certaines sont générées par des algorithmes, d’autres sont le fruit d’un long travail de modélisation 3D. Leur objectif : incarner une figure visuelle que les marques peuvent utiliser pour promouvoir leurs produits sans passer par des mannequins physiques.
Ce phénomène, encore marginal il y a quelques années, a pris de l’ampleur avec les progrès des outils de création numérique et l’essor des réseaux sociaux. Ces personnages génèrent aujourd’hui des revenus importants et disposent de communautés très actives.
Shudu, la première supermodel virtuelle
Créée en 2017 par le photographe britannique Cameron-James Wilson, Shudu Gram est souvent considérée comme la première mannequin IA de l’histoire. Sa peau noire, son port de tête altier et son élégance ont rapidement attiré l’attention des médias et des marques. Elle a notamment collaboré avec Fenty Beauty, la marque de Rihanna, et est apparue dans Vogue et Cosmopolitan.
Sa popularité a toutefois aussi suscité un débat : Shudu représente une femme noire, alors qu’elle a été créée par un homme blanc. Des critiques ont dénoncé une forme d’appropriation culturelle numérique, pointant le paradoxe d’une industrie de la mode qui peine à offrir des opportunités aux vraies femmes noires tout en exploitant leur image à travers des avatars contrôlés.
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Lil Miquela, star des réseaux sociaux
Autre figure emblématique : Lil Miquela. Lancée en 2016 par le studio américain Brud, Miquela Sousa (de son nom complet) est présentée comme une jeune femme de 19 ans, mi-brésilienne, mi-espagnole, vivant à Los Angeles. Elle affiche plus de 2 millions d’abonnés sur Instagram, a été ambassadrice de marques comme Prada, Dior ou Calvin Klein, et sort même des singles sur Spotify.
Son compte mêle publications mode, prises de position sociales (elle a soutenu Black Lives Matter), et contenu lifestyle. Sa frontière floue entre fiction et réalité intrigue autant qu’elle interroge : beaucoup de ses abonnés interagissent avec elle comme s’il s’agissait d’une vraie personne.
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Imma, le visage rose du Japon connecté
Au Japon, c’est Imma qui domine la scène virtuelle. Avec ses cheveux roses et son look inspiré de la pop culture japonaise, elle est devenue un véritable phénomène. En 2020, elle a été au centre d’une campagne d’IKEA Japon : un appartement décoré à son image a été ouvert dans le quartier branché de Harajuku à Tokyo.
Elle est aussi apparue dans des publicités pour Porsche, Dior ou Amazon. Imma illustre le pouvoir de fascination des avatars réalistes et la manière dont ils peuvent s’intégrer dans des environnements de consommation réelle.
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Aitana López et Rozy : nouvelles figures de l’influence IA
L’Espagne a vu naître en 2023 Aitana López, première mannequin IA du pays. Développée par l’agence The Clueless, elle a été conçue pour générer des revenus réguliers en évitant les « imprévus des influenceurs humains ». Son esthétique est pensée pour séduire une audience jeune et connectée : peau parfaite, chevelure rose, poses maîtrisées. Selon l’agence, elle génère plusieurs milliers d’euros par mois en partenariats.
En Corée du Sud, Rozy incarne une esthétique plus naturelle et durable. Créée en 2020, elle reste virtuellement âgée de 22 ans. Elle a été choisie pour représenter des marques sensibles à l’environnement et au progrès technologique. Elle apparaît dans des campagnes gouvernementales ou commerciales, combinant marketing et image d’une « jeunesse éternelle » et engagée.
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Mia Zelu, la dernière-née de la tendance
Parmi les dernières créations marquantes figure Mia Zelu, apparition remarquée en 2024 sur les réseaux sociaux. Présentée comme une personnalité glamour et sportive, elle a « assisté » virtuellement à Wimbledon et figuré dans des fausses interviews de magazines, parfois confondue avec une célébrité réelle tant son rendu est réaliste.
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Une tendance qui interroge
Si ces mannequins virtuels séduisent les marques pour leur contrôle total sur l’image et les coûts réduits, ils soulèvent aussi des questions éthiques et sociales. Peut-on parler de diversité lorsque celle-ci est simulée ? Ces figures numériques remplacent-elles peu à peu les modèles humains, déjà précarisés dans certains secteurs ? Et quel est l’impact psychologique sur le public, confronté à des standards de beauté totalement artificiels, mais présentés comme réalistes ?
Pour l’instant, ces avatars restent minoritaires, mais leur présence croissante dans la publicité, la mode et le divertissement suggère une transformation durable de l’industrie visuelle. Entre innovation technologique et utopie marketing, les mannequins IA redessinent peu à peu les contours de la représentation humaine dans les médias.