Au Festival de Cannes 2025, les projecteurs se sont tournés vers une actrice que l’industrie du cinéma n’avait jamais vraiment mise au centre : June Squibb. À 95 ans, la comédienne américaine a bouleversé la Croisette avec sa performance dans « Eleanor the Great », le tout premier long métrage réalisé par Scarlett Johansson. Une présence lumineuse, vivante, qui vient rappeler que le talent n’a pas d’âge mais que le cinéma, lui, a longtemps ignoré ce principe.
Une actrice qui n’a jamais cessé de jouer, mais que l’on découvre enfin
June Squibb n’est pas une débutante. Depuis des décennies, elle prête sa voix, son énergie et sa finesse à des rôles secondaires, souvent marquants. Elle a joué dans des feuilletons emblématiques comme « Les Feux de l’amour », au théâtre à Broadway, au cinéma dans « Nebraska » (2013), où elle fut nommée aux Oscars à 84 ans, et dans des séries télévisées telles que « Shameless » ou « Good Girls ».
C’est aujourd’hui, à presque 100 ans, qu’Hollywood semble enfin lui accorder le rôle principal et l’attention qu’elle mérite. Dans « Eleanor the Great », elle incarne une nonagénaire qui décide, après un deuil, de tout recommencer à New York. Une histoire de renaissance, à l’image de sa propre trajectoire professionnelle. Ce rôle lui offre non seulement un espace d’expression rare, mais il replace les femmes âgées au cœur du récit sans les réduire à des stéréotypes de mamies gâteuses ou de sages silencieuses.
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Une « Squibbaissance » saluée par la critique
Le terme circule déjà dans les médias anglophones : « Squibbaissance ». Une manière affectueuse de nommer cette reconnaissance tardive, mais fulgurante, d’une actrice que les studios avaient reléguée à la marge. Loin de se contenter de jouer les seconds rôles, June Squibb incarne désormais des personnages entiers, complexes, libres, qui existent en dehors du regard masculin et jeune dominant.
Dans « Thelma » (2024), autre film marquant, elle s’empare d’un scooter pour traquer un escroc avec une énergie qui rappelle les westerns urbains. Dans « Vice-Versa 2 », elle prête sa voix à un personnage allégorique : la nostalgie. Une nostalgie douce, pas pesante. Une émotion qui ne tire pas vers le passé, mais qui accompagne le présent. C’est toute la subtilité de son jeu : habiter des rôles liés à l’âge, mais sans jamais être figée par lui.
À contre-courant de l’âgisme hollywoodien
Dans un milieu où les actrices passent souvent de « jeune première » à « mère de », puis disparaissent des radars après 50 ans, la carrière de June Squibb fait figure d’exception salutaire. L’âgisme est l’un des biais les plus invisibilisés du cinéma : alors que les hommes peuvent continuer à jouer des rôles d’action ou de séduction jusqu’à un âge avancé, les femmes sont souvent écartées au nom de leur âge.
Le parcours de June Squibb remet en question cette hiérarchie. Elle montre que les spectateurs veulent aussi voir des histoires intergénérationnelles, des visages marqués mais expressifs, des corps âgés qui vivent encore, rêvent encore, rient et aiment encore. C’est une victoire symbolique pour toutes celles – actrices, scénaristes, réalisatrices – qui se battent pour une représentation plus juste des femmes dans les récits audiovisuels.
Une héroïne féministe et universelle
June Squibb ne revendique pas de combat militant dans ses interviews, mais ses choix parlent pour elle. En acceptant des rôles principaux à 90 ans passés, elle ouvre la voie à d’autres femmes. En refusant d’adopter les codes classiques de la séduction hollywoodienne, elle impose une nouvelle forme de beauté et de présence : la présence vécue, l’authenticité, la densité émotionnelle.
Elle inspire aussi par son humour, son autodérision, et sa liberté. Son personnage dans « Eleanor the Great » reflète cette vitalité rare : une femme qui, malgré les deuils et les années, décide de reprendre sa vie en main. Un message puissant pour toutes les générations : il n’est jamais trop tard pour être protagoniste de sa propre histoire.
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Un autre âge du cinéma est possible
Le triomphe de June Squibb à Cannes cette année 2025 n’est pas un simple « moment attendrissant ». C’est un acte artistique et politique. C’est la démonstration qu’on peut écrire, jouer et filmer des histoires de femmes âgées sans tomber dans la caricature ou la nostalgie stérile. Et c’est surtout un espoir : celui d’un cinéma plus inclusif, où la vieillesse n’est ni une fin ni une faiblesse, mais un terrain d’expression encore trop peu exploré.
Avec sa grâce, sa malice et sa force tranquille, June Squibb nous offre ainsi une leçon précieuse : vieillir n’est pas se retirer du monde, c’est y entrer autrement. Et parfois, c’est y entrer enfin.