On parle souvent des larmes, moins de la rage. Pourtant, chez de nombreuses femmes devenues mères, la colère est une émotion centrale – et encore trop taboue.
Une émotion inattendue
L’image de la jeune mère comblée, radieuse, profondément connectée à son bébé continue de dominer l’imaginaire collectif. Pour beaucoup, la réalité du post-partum est tout autre. Entre nuits hachées, douleurs physiques, déséquilibres hormonaux et solitude émotionnelle, certaines femmes devenues mamans expérimentent une colère soudaine, intense, parfois terrifiante.
Une rage qui ne correspond à rien de ce qu’elles avaient imaginé… et qu’elles n’osent souvent pas exprimer. Cette colère, souvent mise de côté dans les discours sur la santé mentale maternelle, est pourtant un signal d’alarme précieux. Elle traduit bien souvent une surcharge invisible : celle du corps, de l’esprit, de l’isolement.
D’où vient cette rage post-partum ?
Sur le plan biologique, la chute brutale des hormones – notamment des œstrogènes et de la progestérone – après l’accouchement a un impact direct sur l’équilibre émotionnel. Les causes de cette colère vont toutefois bien au-delà du biologique. Le manque de sommeil chronique, la pression mentale constante, la charge mentale domestique, les pleurs incessants parfois, le manque de relais ou encore le sentiment d’être seule à tout porter composent un terreau fertile à l’explosion.
Comme l’explique la psychologue Emily Guarnotta dans Psychology Today, il n’est pas rare que des mères se sentent piégées dans des situations où leurs besoins fondamentaux – repos, reconnaissance, soutien – sont ignorés. Résultat : l’agacement quotidien peut se transformer en accès de colère incontrôlables, dirigés parfois contre leur partenaire, parfois contre elles-mêmes, voire dans certains cas, contre leur enfant. Ces épisodes peuvent provoquer un profond sentiment de culpabilité, renforçant le mal-être au lieu de l’apaiser.
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Un tabou tenace
Ce qui rend cette rage post-partum si difficile à vivre, c’est qu’elle entre en collision avec le récit dominant de la maternité heureuse. Les femmes devenues mères sont conditionnées à croire qu’elles devraient se sentir comblées après avoir donné la vie. Quand ce n’est pas le cas, la honte s’installe.
Résultat : nombreuses sont celles qui n’en parlent pas, ou qui minimisent ce qu’elles ressentent. Elles craignent d’être jugées, incomprises, voire catégorisées comme mauvaises mères. Ce silence, pourtant, ne fait que nourrir leur isolement.
Nommer pour mieux accompagner
Reconnaître que la colère peut être un symptôme du post-partum, c’est offrir aux mères un espace de légitimité. Cela ne veut pas dire encourager cette colère ou la banaliser, mais plutôt la comprendre comme un indicateur d’une détresse à prendre au sérieux.
Certaines femmes devenues mères n’ont jamais été diagnostiquées pour des troubles de l’humeur, mais présentent tous les signes d’un déséquilibre émotionnel post-natal : épuisement, irritabilité extrême, pleurs fréquents, repli sur soi. Pour elles, la reconnaissance de cette colère peut être un premier pas vers un accompagnement thérapeutique adapté.
Ce que les soignants peuvent faire
Les professionnels de santé – sages-femmes, médecins, psychologues, pédiatres – jouent un rôle clé dans la détection de ces signaux. Lors du suivi post-natal, poser des questions ouvertes, non jugeantes, permet aux jeunes mères de s’exprimer. Il est essentiel de valider leurs émotions, de normaliser leur ressenti sans les minimiser, et de les orienter, si nécessaire, vers des dispositifs de soutien psychologique.
Libérer la parole pour mieux prévenir
La rage post-partum n’est pas une déviance, ni un signe de faiblesse morale. C’est une alerte. Un cri du corps et de l’esprit qui demande de l’aide. En parler, c’est permettre à d’autres femmes devenues mères de se sentir moins seules, de reconnaître leurs émotions et d’agir avant que l’épuisement ne se transforme en crise plus profonde.
Des campagnes de sensibilisation, des récits partagés, des espaces de parole (groupes de soutien, consultations spécialisées, lignes d’écoute) sont autant de leviers pour briser le silence.
La maternité n’est pas un conte de fées. Elle est faite de beauté et d’épreuves, de joie et d’épuisement. Autoriser les mères à exprimer toute la palette de leurs émotions, y compris les plus sombres, est une condition nécessaire à une parentalité plus juste, plus humaine – pour elles, pour leurs enfants, pour la société tout entière.