Pourquoi les sorcières ont une place importante dans la lutte féministe ?

Autrefois condamnées au bûcher, les sorcières ont longtemps porté le chapeau de « paria » de la société. Mais aujourd’hui, ces créatures dites « maléfiques » survolent fièrement les manifestations féministes. Si dans l’imaginaire collectif, la sorcière est cette vieille mégère aux doigts crochus qui se complait derrière son chaudron, elle renferme une symbolique forte dans l’égalité des sexes. Celles qui inspiraient la terreur récoltent l’admiration générale. Mais d’où vient cette revanche des sorcières ? On vous explique. 

Les sorcières, une menace pour le patriarcat

« Nous sommes les petites filles des sorcières que vous n’avez pas réussi à brûler », « tremblez, tremblez, les sorcières sont revenues », « conservatisme, du balai »les mobilisations féministes sentent le « witch power » à plein nez. Le collectif anarchiste féministe « witch bloc » a même fait de cette figure mystique son emblème.

Visiblement, l’heure est aux sorcières bien-aimées. Mais si les sorcières se frayent une visibilité dans la rue ou derrière les séries à l’instar de Charmed, elles traînent derrière elles un lourd passé. Victimes d’une chasse collective au Moyen-Âge, les sorcières ont subi les pires traitements. Entre la fin du XVe siècle et le XVIIe siècle, les historiens ont recensé au moins 200 000 procès en sorcellerie. Entre 50 000 et 100 000 femmes ont été brûlées. Un crime de masse orchestré dans une glaçante indifférence.

Ce pan terrifiant de l’histoire a été étouffé par des clichés, largement intériorisés. Du souvenir des sorcières, il ne reste qu’une vulgaire caricature à base de balais magiques et de rires maléfiques. Et ça arrange les réactionnaires. En effet, la sorcière est bien au-dessus du simple personnage « marginal », « laid » et « vilain » dépeint dans les Disney. C’est une pionnière de l’émancipation féminine qui donnait des sueurs froides aux hommes de l’époque.

Ces femmes, douées de forces occultes, étaient en réalité des personnes ordinaires. Tantôt herboristes, tantôt sages-femmes, les sorcières mettaient leur don au service de l’humain. Dans une ère parfumée de misogynie, c’était donc surtout leur indépendance et leur réussite qui dérangeaient ces messieurs. Le terme « sorcière » devient alors un prétexte pour éliminer ces femmes, trop visibles dans l’arène sociale.

Les sorcières, des féministes malgré elles

Majeures dès l’âge de 12 ans, les femmes du Moyen-Âge étaient prédestinées à une vie de mère au foyer. C’était une règle indéfectible. Dans le droit on utilisait même le terme « sexe faible » (fragilitas sexus ou infirmitas sexus) pour les décrire. À l’inverse, dans les foyers sans enfants, la femme était régulièrement accusée de sorcellerie, car l’infertilité de l’homme était inconcevable. Celles que l’on affabulait de sorcellerie allaient à contre-courant des mœurs, emportant sur leur passage les normes imposées.

Célibataires émancipées et avides de justice sociale, les sorcières étaient d’ailleurs les premières à pratiquer l’avortement. Côté référence, Jeanne d’Arc est certainement l’exemple le plus parlant. Femme affranchie, au tempérament guerrier, elle était l’antithèse même de ce que la religion exigeait. Les hommes voyaient en cette femme libre une sorte de dérives diaboliques, à combattre.

Les femmes regroupées derrière le mot « sorcière » concoctaient, sans le savoir, les prémices d’une révolution, finalement réprimée dans la haine et le sang. Les sorcières traduisent en fait à merveille cette violence conjuguée au masculin. Ce ne sont pas des êtres « à part », mais des incarnations du « nous » féminin.

La sorcière, une icône féministe de la pop culture aux manifs

La sombre réputation des sorcières a été balayée par un néo-féminisme plus rugissant que jamais. Des ouvrages tels que « Moi Tituba, sorcière… » de Maryse Condé ou « Sorcières, la puissance invaincue des femmes » de Mona Chollet ont su donner de la voix à ces figures, injustement oubliées. Grâce à ces portraits glorifiants, la sorcière enjambe une popularité méritée.

En parallèle, l’âme combative des sorcières plane sur nos écrans. Aux antipodes de la sorcière effrayante de Blanche-Neige, les séries contemporaines hissent des héroïnes badass au premier plan. De l’incontournable trio Halliwell dans Charmed à la nouvelle saga Sabrina, les sorcières des temps modernes nous jettent des sorts d’admiration.

Au-delà de cette formule divertissante, les sorcières investissent les manifestations sur fond de sororité. Cette fois, la peur change de camp. En janvier 2018, le site « Witches of Color » appelait ainsi toutes les sorcières à se mobiliser pour faire trembler Donald Trump.

« Les mêmes puissances misogynes et suprémacistes qui ont tenté de discréditer l’œuvre audacieuse et indispensable des sorcières nous oppriment chaque jour un peu plus depuis l’élection de ce président qui n’a de cesse de les galvaniser », se justifiait Witches of Color

En version locale, les sorcières s’engouffrent aussi dans le spectre politique. Le 20 janvier dernier, les sorcières du « Witch Bloc Paname », un gang féministe révolté faisaient front à la « marche pour la vie ». À coup de sortilèges déguisés en punchlines et de pancartes affreusement véridiques, elles se soulevaient contre les anti-avortements.

Les sorcières, auparavant prédestinées aux flammes de l’enfer, renaissent de leurs cendres sous l’égide des luttes féministes. Fermement décidées à chasser les esprits machistes qui font encore la loi, les sorcières côtoient la couleur violette, autre symbole féministe. Le hashtag #witchesofinstagram, dédié à cet art envoûtant recense, quant à lui, 9,1 millions de posts, preuve qu’elles sont prêtes à décrocher la lune.

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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