« C’est aussi notre rue ! » : le cri du cœur de la chanteuse Bakel face au harcèlement

« L’intime c’est politique. » Dans ses chansons, la chanteuse Bakel se raconte et nous raconte par la même occasion. Nous, c’est la société, pour le meilleur et pour le pire. Il y a 3 ans elle sort un premier EP intitulé « L’eau qui dort » et est maintenant sur la route d’un second. Parmi tous ses titres, on retrouve « Ma rue », un réel cri du cœur de l’artiste contre le harcèlement subi quotidiennement par la moitié de la population terrestre. Rencontre avec une artiste engagée.

The Body Optimist : Pourquoi ce nom « Bakel », qui renvoie à un village sénégalais, n’est-ce pas ? Pourquoi avoir fait ce choix pour votre identité en tant que chanteuse ?

Bakel : « Oui, Bakel est le nom du village au Sénégal où est né mon grand-père. Ce choix était un choix assez évident, comme un clin d’oeil à mon papi, comme une revendication de mes origines, de ma famille, de cette culture qui est aussi la mienne. J’aime la sonorité aussi bien sûr, et l’ambivalence que ce nom provoque (il peut avoir une consonance nordique aussi). Les gens sont surpris quand ils comprennent d’où ça vient… »

Que représente la musique pour vous ?

« J’aime l’idée qu’une chanson est une suite de tableaux, d’images, comme un mini film. La musique est le seul moyen d’expression que j’ai trouvé pour exister par moi-même et pour moi-même au milieu des autres. J’ai grandi entourée d’adultes. Je suis extrêmement timide et introvertie. La photographie d’abord, puis l’écriture m’ont sauvée. La musique a toujours été la trame de fond, la passion de ma vie, là où tout s’est concentré. »

Comment décririez-vous votre musique pour les gens qui ne la connaissent pas ?

« Je dirais que je fais de la chanson française, pop, accessible. Le côté « pop » est choisi et mesuré, il y a une vraie volonté du « populaire » dans mon travail. C’est le milieu d’où je viens et c’est une fierté pour moi. Je fais des chansons à texte, intime donc, mais que j’espère aussi plutôt universelles puisque pour moi l’intime est politique et universel. »

Votre nouveau single intitulé « Ma rue » évoque avec puissance le harcèlement de rue subi par beaucoup de femmes au quotidien. Pourquoi est-ce un sujet qui vous tient à cœur ?

« « Ma rue » parle du harcèlement, notamment sexuel, de rue quotidien dont 86 % des femmes ont déjà été victimes. Et les chiffres pour les personnes queers, les minorités ethniques sont encore flous, mais font sûrement tout aussi froid dans le dos. Et parfois, on cumule en plus !

J’ai grandi à Roubaix, une ville réputée pour sa violence et son taux de délinquance très élevé. J’ai eu beaucoup de mal à exister sereinement dans l’espace public. Mon look, mon androgynie, mon orientation sexuelle et aussi le fait que je sois femme faisaient de moi une réelle proie. C’était quotidien. Matin et soir. Insultes misogynes, homophobes, et dans certains cas même racistes… Le harcèlement de rue, c’est quelque chose que je connais très bien. »

Qu’avez-vous cherché à exprimer à travers cette chanson, de laquelle se dégagent à la fois douceur et force ?

« La chanson parle de la colère refoulée d’abord puis qui fini par exploser dès qu’on ne peut plus la contenir. Je ne défends pas forcément la violence, mais me débattre d’abord puis me battre littéralement, c’est la seule réponse que j’ai fini par trouver quand j’étais menacée. Donc je me suis beaucoup battue, parce que je n’avais pas le choix. Puis après m’être fait casser le nez plusieurs fois, j’ai fini par réapprendre à me tempérer un peu ! (rire)

L’espace public est systématiquement accaparé et pensé pour les hommes et par les hommes. Nous ne sommes pas moins à notre place dans les rues des grandes villes quelle qu’elles soient, nous sommes libres d’aller où on veut, quand on veut, en portant ce qu’on veut. C’est presque absurde de devoir le dire, mais apparemment on en est encore là.

Cette chanson je veux qu’elle soit un hymne à la puissance des femmes, mais aussi l’incarnation d’une violence virile féminine. Oui les femmes sont aussi coups et colère parfois, ce n’est pas une injonction, une obligation, mais ça existe ! « Si tu me touches je te fume » c’est quelque part une réalité puisque je me suis beaucoup bastonnée dans ma vie comme je l’ai dit. Mais c’est aussi un peu du second degré, de l’empowerment. Comme un cri de ce que beaucoup d’entre nous aimeraient pouvoir faire entendre au moment fatidique du harcèlement. »

Votre titre est équivoque : Ma rue. Le possessif invite les femmes à reprendre possession de l’espace public. Selon vous, que pourrait-on faire pour changer les choses, en finir avec ce fléau qu’est le harcèlement de rue ?

« Mais oui, c’est aussi notre rue ! Encore une fois c’est bien triste de devoir le rappeler, mais je pense que ces prises de paroles sont nécessaires.

Changer les choses, on ne va pas se mentir, ça prendra du temps. Ça va demander un travail énorme. D’abord, il faudrait éduquer les jeunes garçons, leur réapprendre à appréhender le corps, le désir féminin comme quelque chose qui n’est pas acquis qui ne leur appartient pas. Leur apprendre la notion de consentement, mais aussi des valeurs de base comme la tolérance. La chanson aborde aussi la liberté des minorités à circuler sereinement. Cela concerne donc aussi les personnes queers, de couleur… Il faut réapprendre à vivre ensemble dans le respect mutuel. Je parle simplement de civisme et de bienveillance.

Ensuite je crois qu’il faudrait parfois un tout petit peu plus de soutien de la part des autres. Ne pas laisser quelqu’un se faire harceler devant soi dans la rue, dans le métro. Évidemment la peur l’emporte pour beaucoup et je comprends. Mais le jour où un homme qui tentera de se coller à une femme dans le métro se retrouvera entouré de 10 personnes menaçantes, je pense que les attitudes commenceront doucement à évoluer… »

Le contexte sanitaire actuel a-t-il eu un impact, selon vous, sur le harcèlement et plus largement les violences envers les femmes ?

« Le contexte sanitaire a eu un impact catastrophique pour les violences faites aux femmes, oui. Souvent précaires et isolées, des milliers d’entre elles se sont retrouvées enfermées des mois durant avec leurs agresseurs, prises aux pièges et incapables de parler. Je pense que l’impact se mesurera sur plusieurs années, mais le soulèvement auxquels nous avions commencé à assister notamment avec l’émergence de #MeToo et #Balancetonporc à été considérablement entravé par ces confinements à la chaîne.

Je trouve personnellement que l’État a aussi failli à son rôle de protecteur et que les réponses étaient trop faibles compte tenu des situations de danger réel et imminent dans lesquelles se trouvaient tant de femmes et d’enfants. »

Justement le silence est très présent dans le harcèlement… Depuis la bombe de l’affaire Weinstein, les hashtags #MeToo, #Balancetonporc que vous évoquez ou encore dernièrement #cybersindy déverrouillent la parole des femmes. Leurs voix semblent enfin être entendues. Pourtant la situation semble toujours aussi préoccupante. Beaucoup déplorent un manque d’actions gouvernementales sur les problématiques liées aux femmes (harcèlement de rue, violences sexistes et sexuelles, etc.). Quel est votre sentiment par rapport à cela ?

« Comme je le disais, je pense que la réaction gouvernementale n’est simplement pas à la hauteur du problème. Mais on peut aussi savoir pourquoi. Beaucoup des décisionnaires politiques par leur rythme privilégié de vie ne sont pas les victimes directes de ce système… Je ne pense pas qu’une ministre se fasse tripoter tous les deux jours dans le RER en rentrant chez elle. Et il n’y a pas de personne queer dans ce gouvernement donc bon…

Les femmes, les queers, se sont saisi eux-même du problème elles/ils/iels l’ont médiatisé et porté dans l’espace public, ont commandé des sondages, ont proposé des solutions durables, comme des cours d’éducation civique et sexuelle ou autres, et politiques. À un moment on se dit « honnêtement les gars, on vous a prémâché quasiment TOUT le boulot, il ne vous reste pas grand-chose à faire là donc action… » C’est désespérant de « je m’enfoutisme ». C’est minimiser le problème dont on dit qu’il dure depuis toujours et que nous en sommes quasiment tou.te.s les victimes ! »

Bakel

Y a-t-il d’autres sujets engagés que vous aimeriez mettre en musique prochainement ?

« Je pense que tout ce qui touche aux droits et à la dignité humaine mérite d’exister dans les arts populaires. C’est notre rôle aussi. Voire même c’est notre rôle surtout ? Si en tant qu’artiste, musiciens ou autres, on ne s’empare pas de ces problématiques, que personne ne soutient le travail des militant.e.s qui se mobilisent constamment et avec acharnement pour (r)éveiller les consciences, qui le fait ? Et surtout, quel est notre rôle alors ? »

Pour finir, quelle est l’avancée en matière de droits des femmes que vous attendez encore ?

« J’attends simplement une égalité absolue, indiscutable, pérenne… Finalement j’attends comme beaucoup, l’évidence. »

Tout est dit. En 2021, il reste parfois impossible pour les femmes de se balader simplement dans la rue sans avoir la peur au ventre. Que vais-je porter pour ne pas me faire embêter ? Puis-je prendre ce chemin alors qu’il fait nuit ? Tant de questions que nous ne devrions pas/plus nous poser ! Face à ce fléau qu’est le harcèlement de rue, il est important que des voix comme celle de Bakel s’élèvent (et c’est encore mieux quand elle est aussi douce !). Parce que stop, c’est aussi notre rue à tou.te.s !

Léonie Bourbon
Léonie Bourbon
À travers mes articles, je vise à divertir, éduquer et inciter à la réflexion, en partageant des histoires qui touchent le cœur et l'esprit.
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