D’une année à l’autre, les jupes se prolongent jusqu’aux mollets ou se raccourcissent jusqu’à la naissance des cuisses et ce ne serait pas seulement dû aux tendances mode. Les économistes liraient l’avenir financier entre les coutures de ces pièces tantôt très courtes, tantôt démesurées. Théorie cousue de fil blanc ou unité de mesure fiable pour prédire un krach boursier ? Les jupes des filles ne sont pas seulement dans le viseur des fashion-addicts.
L’indice de l’ourlet, une théorie étrange
Les économistes n’observent pas seulement les courbes de la bourse pour faire l’état des lieux des finances, ils suivent aussi une autre ligne de mesure : celle des jupes des femmes. Ils scrutent la masse de tissu qui trône sur les jambes de ces mesdames et prennent peut-être même des notes à chaque Fashion Week. Toutefois, ils ne regardent pas l’apparence ou les finitions du vêtement, ils tirent des bilans en pointant l’œil sur les centimètres des jupes. Quand elles sont courtes, c’est signe de légèreté financière tandis que lorsqu’elles se déploient jusqu’à la cheville, c’est l’heure de la récession. Du moins, c’est ce que suggère le « hemline index », soit l’indice de l’ourlet.
Cette théorie est souvent associée à l’économiste et professeur de l’université de Pennsylvanie George Taylor. Dans sa thèse Significant post-war changes in the full-fashioned hosiery industry (Changements importants d’après-guerre dans l’industrie de la bonneterie à la mode, 1929), le magnat des chiffres tricote son argumentaire. Son idée ? Il aurait observé que plus les jupes étaient courtes, plus l’économie allait bien. À l’inverse, en période de récession, les jupes rallongeaient. Selon lui, la longueur de nos tenues serait une traduction visuelle et sociale du moral collectif. Sauf qu’est-il vraiment possible de voir le futur financier entre les portes de nos dressings comme madame Irma le fait dans sa boule de cristal ?
Un exemple souvent cité est celui des années folles : les années 20, époque de prospérité après la Première Guerre mondiale, voient apparaître des robes plus courtes, plus audacieuses, libérant les jambes et les corps. À l’inverse, lors de la Grande Dépression des années 30, les jupes descendent à nouveau vers les chevilles.
Des jupes longues et une économie à nu ?
Ce que cette théorie suggère, ce n’est pas tant que la jupe influence l’économie, mais que la mode reflète nos états d’âme collectifs. En période de croissance, on ose, on s’expose, on joue avec les codes. Les jupes raccourcissent, les couleurs éclatent, les formes se font plus créatives. En revanche, en temps de crise, les tendances se font plus sobres, plus couvertes, comme si notre corps ressentait le besoin de se protéger.
Cette année, les jupes gagnent en matière et dévalent jusqu’à terre. Faut-il craindre pour autant un effondrement de l’économie et une nouvelle crise financière ? Pas vraiment. Si cette théorie a embobiné de nombreuses personnes à ses premières évocations, aujourd’hui, elle se heurte à une mode plus foisonnante et moins paramétrée.
« Aujourd’hui, on voit coexister jupes longues, midi, micro, fendues, asymétriques… Le paysage stylistique est trop fragmenté pour qu’un indice aussi linéaire fonctionne. L’Hemline Index a fait son temps, mais il simplifie à l’excès », développe l’historienne de la mode Alexandra Harwood dans les colonnes de Harper’s Bazaar.
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La hauteur des talons, autre règle de mesure farfelue ?
Au 21e siècle, les femmes portent la jupe à tous les niveaux. Le lundi elles arborent une jupe longue en voilage qui révèle les jambes en transparence et le mardi, elles enfilent une jupe plissée digne du dressing de Britney Spears. D’un jour à l’autre, les jupes s’agrandissent ou rétrécissent sur les gambettes et ce n’est pas pour autant que le CAC 40 file un mauvais coton. Désormais, les spécialistes de Wall Street s’en remettent à des valeurs plus concrètes que la longueur, très aléatoire, des jupes des femmes.
En revanche, si prédire l’avenir économique à revers de jupe est aussi fiable que de prévoir la météo avec un doigt mouillé, certains économistes regardent un peu plus bas dans nos looks. Vous voulez savoir si l’inflation va durer ? La réponse se trouve peut-être à vos pieds, au sens propre du terme. C’est ce que pense Trevor Davis, expert en produits de consommation chez IBM. Les talons, eux, sont assez révélateurs. En période de crise, ils atteignent des sommets, comme pour nous aider à prendre de la hauteur, et ils se rabotent sous les pieds si celle-ci s’inscrit dans le temps. Ce n’est donc peut-être pas un hasard si l’on préfère les tongs à petits talons aux grands échassiers ou aux souliers de Barbie.
Et si, finalement, la meilleure façon de défier la crise, c’était de continuer à se vêtir avec joie, plaisir et confiance, quel que soit le contexte économique ? Pas question de laisser la situation financière plomber vos looks.