Avoir confiance en soi : une énième charge mentale pour les femmes ?

La charge mentale, ce terme tend à se démocratiser depuis près d’une décennie. Pourtant, s’il est désormais connu de tou.te.s, son amplitude ne cesse d’augmenter. Récemment, il a été établi par les sociologues Shani Orgad et Rosalind Gill que même la confiance en soi était un instrument de la charge mentale des femmes. Explications.

La confiance en soi chez les femmes

On parle de charge mentale pour désigner le fait de devoir penser simultanément à des choses venant de lieux différents (travail, santé, famille, maison, émotions, etc.). Cette charge est principalement imputée aux femmes, bien que les hommes puissent la connaître.

La confiance en soi est plébiscitée depuis quelques décennies. L’arrivée de la culture de la positivité, reine des réseaux sociaux, n’a fait qu’amplifier cette acception de notre société. Cet adage psychologique s’applique d’autant plus aux femmes. On attend d’elles qu’elles aient confiance en elles afin de réussir, tant sur le plan professionnel que personnel. La confiance en soi et le positivisme seraient les clés de la réussite pour la femme.

En vérité, derrière cette injonction à la positivité, à la confiance en soi et à la persévérance, se cache une nouvelle charge mentale. Les femmes doivent être les seules maîtresses de leur destin, elles n’ont d’autres choix que de rester optimistes, confiantes et ne jamais douter. La sociologue Shani Orgad explique, dans un article de Forbes, que la confiance en soi prend des airs de diktat toxique :

« Il devient tellement incontesté qu’il s’intériorise dans la sphère la plus intime, où les femmes, souvent très douloureusement, se jugent selon cette attente inaccessible »

Un culte de la confiance instrumentalisé

Le culte de la confiance en soi est si profondément intériorisé qu’il pousse les femmes à l’extrême exigence envers elles-mêmes. Elles se jugent plus durement et culpabilisent si cet objectif n’est pas atteint. Qui plus est, il leur est rappelé que si elles n’y arrivent pas, c’est de leur faute. La confiance en soi semble donc être une nouvelle charge mentale. Les deux sociologues Shani Orgad et Rosalind Gill décrivent des femmes « grondées si elles ne font pas en sorte de surmonter leurs obstacles intérieurs ».

Force est de constater que le doute de soi est constamment pathologisé chez les femmes. Les chiffres au sujet du syndrome de l’imposteur ne viennent que confirmer cela. En effet, selon une étude menée par le Behavioral Science Research Institute, il touche 70 % de la population, dont la majeure partie sont des femmes. Pour le confirmer, la docteure et autrice Jessica Taylor affirme au Guardian:

« Le syndrome de l’imposteur est plus fréquent chez les femmes qui réussissent que chez les hommes qui réussissent parce que la société est plus susceptible de démolir les femmes qui deviennent trop avisées, intelligentes, éduquées ou assertives »

Le syndrome de l’imposteur est donc la quintessence du doute pathologisé des femmes.

Toutes les sources qui entourent les femmes ne les poussent qu’à viser cette confiance en soi. Qu’il s’agisse des livres, des rapports, des manuels, des programmes scolaires, des vidéos sur la quête de la confiance en soi : tout appelle les femmes à combattre leurs démons intérieurs. Hélas, cette charge mentale de la confiance en soi les désincite à conquérir les espaces de travail. Ceci pas moins que notre société remet en question le système structurel qui les entrave.

Une société à blâmer

Les sociologues Shani Orgad et Rosalind Gill sont claires, dans leur ouvrage Confidence Culture, elles affirment que l’origine de ce sentiment d’incapacité chez les femmes vient de la société. C’est une construction renforcée au fil des siècles où le manque de confiance en ses capacités tient plus du symptôme que de la cause.

Il s’agit d’un phénomène à double tranchant. Les sociologues expliquent que la société et ses composantes promeuvent :

« l’idée que le manque de confiance des femmes est l’un des principaux obstacles au succès et à la progression des femmes. »

Ceci alors même ce symptôme qui touche les femmes n’est pas de leur ressort. C’est un problème sociétal, économique et institutionnel, mais pas psychologique à la base. Le manque de confiance en soi a été forgé par ces inégalités. Il sert aujourd’hui une énième charge mentale. Elles affirment que la fameuse confiance en soi est utilisée pour éloigner les regards de problèmes systémiques bien plus profonds.

« Il faut réévaluer l’importance donnée à la confiance, alors qu’elle camoufle finalement des problèmes sociétaux bien plus profonds (…) Cette focalisation détourne l’attention des causes profondes de ce syndrome ; comment, par exemple, les cultures de travail dominées par les hommes font que les femmes se sentent illégitimes et, surtout, ce que les lieux de travail peuvent et doivent faire pour soutenir les femmes », expliquent Selon Shani Orgad et Rosalind Gill

Pression à avoir confiance en soi : que peut-on faire ?

Les autrices recommandent d’abord de remettre en question les structures mêmes qui entravent les femmes. Elles désignent par exemple le manque de service de garde abordable pour les enfants, les écarts salariaux entre les sexes ou encore la culture du surmenage.

« Nous suggérons qu’au lieu de commencer par un déficit supposé ou un syndrome problématique chez les femmes, les organisations doivent examiner leur propre culture et leurs pratiques. »

Elles appellent donc à déplacer cette attention que l’on porte aux femmes vers la société qui les entrave. Pour cela, elles préconisent « des changements structurels par le gouvernement, les lieux de travail, les entreprises, les médias et le système éducatif ». Enfin, Shani Orgad et Rosalind Gill reconnaissent l’importance de la santé mentale. Il leur paraît donc important de permettre aux femmes de s’accepter, tant que cela n’est pas instrumentalisé

Ainsi, la société veut volontiers apprendre aux femmes à « combattre leurs obstacles intérieurs ». Elle leur inculque une idée selon laquelle il leur appartient de travailler sur leurs capacités, de se replier sur elles-mêmes et de prendre confiance en elle. En vérité, c’est cette même société qui a mis en place les jalons empêchant ces réalisations. Alors que le culte de la confiance en soi semble bienveillant, il dessert en vérité les femmes et leur impose une nouvelle charge mentale.

Charlotte Vrignaud
Charlotte Vrignaud
En tant que journaliste spécialisée dans les médias et la culture, mon quotidien est une aventure passionnante au cœur de l'évolution culturelle et médiatique de notre époque. Mon rôle consiste à décrypter et à partager les tendances émergentes, les innovations et les récits captivants qui façonnent notre société.
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