C’est une phrase que l’on prononce parfois sans y penser. Face à un enfant qui tombe, pleure ou encore traverse une déception, beaucoup de parents réagissent spontanément par un : « Tu vas bien, c’est rien ». Sauf que…
Une phrase qui déconnecte l’enfant de ses émotions
Derrière ce réflexe, a priori bienveillant, se cacherait un message profondément délétère pour le développement émotionnel de l’enfant. C’est ce qu’alerte Reem Raouda, spécialiste de la parentalité consciente, qui qualifie même cette formule de « plus dangereuse que l’on puisse dire à un enfant ».
Selon elle, qui a étudié les réactions de plus de 200 enfants dans le cadre de ses recherches, dire « tu vas bien, c’est rien » à un enfant qui ne va clairement pas bien revient à nier ce qu’il ressent dans l’instant. Ce court-circuit émotionnel, répété au fil du temps, peut conduire l’enfant à ne plus faire confiance à ses ressentis : « Si l’adulte me dit que je vais bien, alors que je sens de la douleur ou de la tristesse, c’est que mon corps me trompe ».
Ce décalage entre ce que vit l’enfant intérieurement et ce qu’on lui renvoie crée une forme de confusion affective. À long terme, cela affaiblit sa capacité à reconnaître, nommer et réguler ses émotions.
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Un mécanisme d’invalidation subtile
L’intention du parent est rarement mauvaise. Dans la majorité des cas, le fameux « tu vas bien, c’est rien » est une tentative de rassurer rapidement, d’écourter une crise de larmes ou d’éviter un effondrement en public. Sauf que ce que l’enfant entend, selon Reem Raouda, c’est : « Tes émotions ne comptent pas » ou « Il vaut mieux ne pas pleurer pour être aimé ».
Or, cette invalidation émotionnelle, même involontaire, enseigne à l’enfant que ses sentiments ne méritent pas d’être exprimés. Avec le temps, cela peut favoriser des comportements de retrait émotionnel, voire d’auto-censure affective, où l’enfant n’ose plus partager ce qu’il ressent réellement.
Des effets physiologiques durables
Au-delà du plan psychologique, cette dynamique peut aussi impacter le développement du système nerveux. Lorsqu’un enfant est régulièrement confronté à une absence de validation émotionnelle, son corps peut enregistrer que l’expression émotionnelle est risquée ou inefficace. Cette réponse chronique au stress peut, selon la spécialiste, modifier sa manière d’interagir avec les autres, et altérer sa capacité à se sentir en sécurité sur le plan affectif.
Que dire à la place ?
La clé, selon Reem Raouda, n’est pas de « corriger » les émotions de l’enfant, mais de les accueillir. Voici quelques alternatives simples mais puissantes :
- « J’ai vu ce qui s’est passé, comment tu te sens ? »
- « Tu as le droit de pleurer, je suis là si tu as besoin »
- « Tu n’as pas à aller bien tout de suite, je suis là »
- « Ce que tu ressens est important »
- « Je t’écoute »
- « Je te crois »
Ces phrases ne cherchent pas à réparer, mais à soutenir. Elles permettent à l’enfant de rester connecté à lui-même tout en sachant qu’un adulte fiable est présent pour l’accompagner.
Repenser notre langage de parents
Loin d’être un simple détail, le choix de mots dans les moments de vulnérabilité façonne le lien de confiance entre parent et enfant. En adoptant une posture d’écoute plutôt que de correction, on construit un environnement où les émotions ne sont ni une menace ni une gêne, mais une expression naturelle.
Reem Raouda rappelle ainsi que le but n’est pas d’être un « parent parfait », mais d’être conscient. Même si « tu vas bien, c’est rien » continue parfois de nous échapper, l’important est de savoir revenir vers l’enfant, valider son vécu et ajuster notre posture. Une démarche qui, à long terme, renforce la sécurité émotionnelle, pierre angulaire de la santé mentale.