En Sarthe, une femme vit avec un accent anglais depuis une opération des amygdales. Un cas rarissime qui interroge les spécialistes depuis plus de 10 ans.
Une voix métamorphosée au réveil
Quand Laetitia, 47 ans, se réveille de son opération des amygdales en juin 2014, elle remarque immédiatement quelque chose d’étrange. Sa voix a changé. Plus précisément, elle parle désormais avec un accent anglais très prononcé. « Quand je me suis réveillée, j’avais cet accent. J’ai vu le chirurgien, il n’a rien remarqué d’anormal, alors je ne me suis pas tout de suite inquiétée », raconte-t-elle au Petit Courrier.
Trois mois plus tard, toujours aucun signe de retour à la normale. Lors d’un nouveau rendez-vous, son médecin avoue son incompréhension : « Je ne sais pas quoi vous dire, vous êtes un mystère pour la science ». Laetitia, elle, commence à réaliser que ce changement pourrait être permanent.
Le syndrome de l’accent étranger : un trouble réel, mais méconnu
Ce que Laetitia vit porte un nom : le « syndrome de l’accent étranger ». Il s’agit d’un trouble neurologique très rare, observé dans moins d’une soixantaine de cas documentés dans le monde depuis le début du XXe siècle. Il se manifeste généralement après un traumatisme crânien, un AVC ou, comme ici, une anesthésie générale.
Dans le cas de Laetitia, les examens post-opératoires n’ont rien révélé d’anormal. Pourtant, l’hypothèse d’un problème de vascularisation temporaire d’une zone cérébrale est évoquée. Rien de certain, toutefois. Orthophonistes et ORL consultés n’ont pas pu l’aider. « Ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient rien faire », confie-t-elle.
Une vie quotidienne entre curiosité et malentendus
Depuis, Laetitia a appris à vivre avec sa nouvelle voix. Elle ne parle pas mieux anglais qu’avant, et son accent prête souvent à confusion. « Quand je suis en caisse, je précise que je suis Française avec un accent anglais. Si les gens sont curieux, je leur explique », dit-elle avec détachement.
Certains mots sont devenus difficiles à prononcer, comme « tourterelle », qu’elle remplace par « colombe ». Même sa chienne, Vadrouille, semble désorientée par le changement. « Elle ne doit pas me comprendre, elle n’obéit plus », plaisante-t-elle.
Malgré tout, Laetitia garde le sourire. Elle assure entendre encore « sa voix d’avant » dans sa tête, mais accepte que cette nouvelle tonalité fasse désormais partie d’elle. « Maintenant, je n’y prête plus attention. C’est quelque chose qui fait partie de moi ».
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Des cas rares, mais bien réels
Le syndrome de l’accent étranger fascine les chercheurs. Un des premiers cas recensés date des années 1940 : une Norvégienne, blessée pendant la guerre, s’était mise à parler avec un accent allemand. En 2011, une Américaine s’est réveillée avec un accent de l’Europe de l’Est après une intervention.
Malgré les avancées médicales, ce trouble reste entouré de zones d’ombre. Il interroge sur la complexité des régions du cerveau impliquées dans le langage et la phonation, et sur la manière dont des micro-lésions ou une simple modification de l’irrigation peuvent suffire à altérer durablement l’intonation.
Plus qu’un fait insolite, le témoignage de Laetitia rappelle ainsi que la voix est aussi une empreinte identitaire. Pour cette femme mère de famille, l’accent inattendu n’a rien changé à sa personnalité. Il l’a surprise, a aussi surpris son entourage, mais il ne l’a pas définie. En partageant son histoire, Laetitia contribue à faire connaître un syndrome souvent moqué ou minimisé. Et elle le fait avec humour, dignité et légèreté.