À rebours des schémas conjugaux traditionnels, de plus en plus de couples optent pour un quotidien en parallèle, dans des logements distincts, tout en entretenant une relation amoureuse stable. Ce mode de vie, appelé LAT (Living Apart Together), séduit près de 8 % des couples en France, selon l’Institut national d’études démographiques.
Un amour choisi… et à distance
C’est peut-être le plus vieux des couples modernes : Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. Déjà à leur époque, ils incarnaient cette forme d’union libre, indépendante, où l’amour ne passait pas par la cohabitation. Plus près de nous, Audrey Crespo-Mara et Thierry Ardisson, en couple depuis plus de dix ans, vivent dans des appartements séparés. « Le fait de se marcher sur les pieds dans la salle de bains le matin ne m’a jamais semblé très constructif… », confiait l’animateur dans le podcast « Dans le rétro » en mars 2022.
Des millions de Français vivent ainsi une relation amoureuse sans partager d’adresse commune. S’ils ne sont ni célibataires, ni mariés, ni colocataires de l’amour, ils affirment leur engagement d’un mot simple : le couple, sans le toit commun.
La liberté comme ciment
« On ne partage plus l’ordinaire », explique Sandrine au média Madame Figaro. Après deux séparations, elle a fait le choix de préserver sa liberté avec son nouveau compagnon. Plus de disputes autour du dentifrice ou des horaires du lave-linge. « Quand on se voit, c’est choisi et c’est une fête », résume Thierry Ardisson. Un principe de plaisir, où le quotidien ne vient plus éroder le sentiment amoureux.
Ce modèle offre aussi une respiration salutaire aux personnes qui ont déjà traversé des séparations. Pour beaucoup, il s’agit d’éviter la reproduction des schémas douloureux. « Mon couple avec mon ex-femme s’est usé au fil du temps et nos relations sexuelles se sont petit à petit raréfiées. Elle a fini par tomber amoureuse d’un autre et m’a quitté », confie Philippe, 63 ans, au média Madame Figaro. Depuis 18 ans, il retrouve sa compagne tous les week-ends – bien qu’ils n’habitent qu’à 21 kilomètres l’un de l’autre.
Une configuration adaptée aux recompositions
Souvent, la non-cohabitation intervient lors d’un second ou troisième chapitre amoureux. Christophe Giraud, sociologue et professeur à l’Université Paris-Cité, souligne que « c’est souvent un choix de ‘deuxième ou troisième vie’, guidé par le souci des familles recomposées ou d’un certain confort de vie ». Les enfants, les ex-conjoints, les passés lourds et les équilibres familiaux entrent dans la danse.
Ainsi, pour Véronique, 59 ans, et Jean-Louis, 67 ans, la décision de ne pas vivre ensemble s’est imposée d’elle-même : 5 enfants à eux deux, des emplois du temps chargés, et le besoin de ne pas bouleverser des vies déjà bien installées. « Avec la maturité, j’ai appris à apprécier cette indépendance. Et je crois que s’il me proposait, aujourd’hui, de vivre ensemble, je lui dirais non ! », explique Véronique au média Madame Figaro.
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Une décision plus fréquente chez les femmes
Derrière ce choix se cache souvent une volonté féminine de se réapproprier leur espace, leur temps et leur autonomie. Cécilia Commo, psychanalyste et sexologue, observe que « dans de nombreux cas, ce sont les femmes qui impulsent cette décision, notamment après une séparation, lorsque les enfants sont devenus autonomes ».
Elles refusent de se retrouver cantonnées à des rôles domestiques ou maternels, qu’elles jugent pesants, voire sexistes. Philippe Brenot, psychiatre et anthropologue, remarque d’ailleurs que les hommes ont plus souvent tendance à s’y opposer, préférant un contrôle plus traditionnel de la vie de couple.
Un modèle plus fragile ?
L’union LAT est-elle plus vulnérable ? D’après l’Ined, 46 % des couples non-cohabitants étudiés en 2019 étaient séparés trois ans plus tard, contre 6 % seulement parmi ceux vivant sous le même toit. Ce chiffre doit être relativisé : une partie de ces couples choisissent tout simplement d’emménager ensemble.
Ce mode de vie invite aussi à une vigilance particulière sur le consentement mutuel : est-ce une co-décision ou un compromis imposé ? La psychologue Élodie Cingal invite à interroger régulièrement les sentiments de l’autre.
En creux, ce choix de vivre séparément reflète une volonté de redéfinir les contours de l’amour, à distance des injonctions sociales. Il témoigne aussi d’un refus croissant des normes rigides autour du couple et de la famille. Une façon de dire qu’on peut être profondément engagée… tout en gardant sa clé.