L’humour, cet art si subtil du trait d’esprit, est souvent brandi comme un passe-droit social. Pourtant, lorsqu’il s’ancre dans les clichés sexistes, il devient tout sauf inoffensif. Car derrière la plaisanterie, il y a parfois du mépris. Et quand les femmes rient jaune, c’est rarement parce qu’elles sont « trop susceptibles ».
L’humour sexiste : un rire qui divise
Quand on parle d’humour sexiste, on ne parle pas d’un simple malentendu culturel ou d’une maladresse occasionnelle. On parle d’un système. Celui qui, à coups de « blagues » sur les femmes au volant, les « hystériques », les blondes, les menstruées ou les « carriéristes frigides », véhicule encore et toujours les mêmes clichés usés jusqu’à la corde. Ces « blagues » n’ont rien d’anodin. Elles perpétuent des images rabaissantes, des rôles figés et une hiérarchie sociale bien installée.
Dire « c’est de l’humour » ne blanchit pas l’intention ni ne diminue l’impact. Une « blague » qui tourne à vos dépens, qui vous rabaisse ou vous fige dans une caricature n’est pas juste une plaisanterie. C’est une micro-agression. Et si vous êtes la seule dans la pièce à ne pas rire, ce n’est pas parce que vous manquez de second degré. C’est parce que vous avez compris où était le problème.
Le fameux « c’est pour rire » : camouflage du mépris
Dans la bouche de certains hommes, l’humour devient un outil de domination soft. Sous couvert de second degré, on teste les limites, on jauge la réaction. On mesure à quel point on peut rabaisser sans être inquiété. Et si jamais une femme ose protester, le couperet tombe : « Mais faut savoir rigoler, voyons ! ».
C’est ce qu’on appelle le gaslighting humoristique. Vous réagissez ? Vous êtes « trop sensible ». Vous ne riez pas ? Vous êtes « coincée ». Vous protestez ? Vous ne comprenez pas l’humour. Au fond, ce qui est en jeu ici, ce n’est pas le sens de l’humour. C’est le respect.
Quand l’humour devient institutionnalisé : focus sur le monde du travail
Dans les bureaux, les open spaces ou les réunions d’équipe, les blagues sexistes sont souvent banalisées. Une ambiance de « potes » où les femmes doivent s’adapter ou quitter la table. Lancer une pique sur les émotions d’une collègue, rire d’une stagiaire qui ne sait « évidemment pas brancher un câble HDMI », ou ironiser sur les congés maternité : tout cela, pour certains, relèverait encore de l’humour.
Sauf que ce type de « rigolade » a des effets concrets. Il crée une ambiance hostile, mine l’estime de soi, pousse certaines à se taire, à s’effacer. Et pire encore, il légitime des comportements discriminatoires : si l’on peut rire d’un stéréotype, alors pourquoi ne pas y croire un peu ?
Le sexisme « bienveillant » : la ruse du patriarcat
Le sexisme ne crie plus, il chuchote. Il ne tape plus du poing, il fait des « blagues ». Il ne dit plus « une femme ne peut pas », il dit « laisse, je vais t’aider ». Ce sexisme « bienveillant » est d’autant plus pernicieux qu’il se dissimule derrière une fausse courtoisie. L’étude de Greenwood & Isbell (2002) révèle que même les hommes se pensant « gentils » (comprendre : non agressifs envers les femmes) peuvent apprécier l’humour sexiste. Car il flatte encore leur position dominante, sans trop les faire culpabiliser.
Dans cette dynamique, les femmes sont vues comme faibles, émotionnelles, dépendantes – et surtout, rigolotes à moquer. Cela permet de maintenir le déséquilibre tout en gardant bonne conscience.
Quand l’humour devient arme : l’affaire de la Ligue du LOL
L’affaire de la Ligue du LOL en est la preuve accablante. Derrière un vernis d’humour caustique et d’ironie générationnelle se cachaient en réalité des pratiques de harcèlement ciblé. Des femmes journalistes, communicantes ou blogueuses ont été tournées en dérision, attaquées pour leur physique, leur féminisme, leur voix. On ne leur répondait pas sur le fond de leurs idées. On les tournait en ridicule. L’humour devenait alors un projectile. Une manière de les décrédibiliser sans se salir les mains.
Cette affaire a levé un coin du voile sur une culture où l’humour est une courroie de transmission du sexisme. Où faire rire entre pairs, c’est se conforter dans sa supériorité. Où l’on transforme les moqueries en insignes de connivence masculine.
Pourquoi il est temps de redéfinir l’humour
L’humour n’est pas neutre. Il construit, déconstruit, blesse ou soigne. Il peut être subversif, brillant, libérateur – mais il peut aussi maintenir des systèmes d’oppression. L’enjeu n’est pas d’interdire les blagues, mais de questionner : qui rit ? De quoi ? À quelles dépens ? Et surtout : pourquoi cela fait rire ?
Vous pouvez faire preuve d’un humour décapant sans jamais mépriser. Vous pouvez faire rire avec vos expériences, pas contre celles des autres. Car oui, on peut être drôle sans être blessant. Et c’est là que réside le vrai talent.
Il est temps de dire stop aux blagues qui piétinent. De dire haut et fort que non, l’humour n’excuse pas tout. Que ce n’est pas manquer d’autodérision que de refuser d’être rabaissée pour amuser la galerie. Et que les personnes qui osent ne pas rire sont peut-être les plus lucides dans la pièce. Après tout, dans une société qui valorise la répartie et le cynisme, refuser le mépris camouflé en humour, c’est presque un acte de courage.