En Corée du Sud, la météo ne se résume pas à un simple choix de parapluie. Lorsqu’il pleut, certains Coréens hésitent même à sortir sans capuche ou chapeau, non pas pour éviter d’être mouillés, mais… pour protéger leurs cheveux. Une croyance étonnante, mais bien ancrée, circule dans le pays : la pluie provoquerait la chute des cheveux. Si cette idée peut prêter à sourire, elle reflète pourtant une combinaison complexe entre culture, préoccupations sanitaires et environnementales modernes. Décryptage d’un mythe urbain qui en dit long sur la manière dont la société coréenne perçoit son environnement.
Une croyance moderne née de préoccupations réelles
La Corée du Sud a connu, au fil des décennies, une industrialisation fulgurante. Avec cette croissance est apparue une nouvelle source d’inquiétude : la pollution atmosphérique. Dès les années 1990, les habitants des grandes villes comme Séoul ont vu leur ciel se charger de particules fines, de smog et de pluies qualifiées d’« acides ».
Dans ce contexte, il n’est pas surprenant qu’un lien ait été fait — consciemment ou non — entre ces précipitations suspectes et la santé. La peau, les voies respiratoires… et, bien sûr, le cuir chevelu. Ainsi est née la croyance selon laquelle se faire mouiller par la pluie pourrait accélérer la chute des cheveux, voire provoquer une calvitie à long terme.
Sur les réseaux sociaux coréens comme Naver ou Daum, on retrouve régulièrement des témoignages de personnes évitant la pluie « par précaution » pour leur cuir chevelu, ou des mèmes humoristiques montrant des célébrités s’abritant nerveusement à la moindre goutte.
Ce que dit vraiment la science
Alors, faut-il réellement craindre une averse pour ses cheveux ? La réponse est claire : non. Selon les chercheurs du Korea Environment Institute et les dermatologues coréens interrogés par The Korea Herald, la pluie, même légèrement acide, ne peut pas à elle seule provoquer la chute des cheveux.
“Les niveaux d’acidité de la pluie dans les zones urbaines sud-coréennes ont certes augmenté depuis les années 1980, mais ils restent bien en deçà des seuils nocifs pour la peau ou les cheveux,” indique le dermatologue Dr. Kim Seung-ho dans un entretien pour The Korea Times. “L’exposition occasionnelle à la pluie n’endommagera pas le cuir chevelu, surtout si l’on se lave les cheveux rapidement après.”
Une étude comparative de la World Health Organization a également révélé que le pH moyen de la pluie acide dans les zones urbaines se situe autour de 4,5 à 5,5. En comparaison, de nombreux shampooings du commerce ont un pH similaire voire plus bas, sans que cela n’entraîne de perte capillaire.
Une relation ambivalente à la pluie dans la culture coréenne
Au-delà de cette croyance contemporaine, la pluie occupe une place symbolique importante dans la culture sud-coréenne. Dans la musique, le cinéma ou les dramas, elle accompagne souvent des moments de mélancolie, de rupture ou de révélation. Elle est rarement festive, et presque toujours chargée d’émotion.
Il n’est donc pas étonnant qu’elle soit aussi perçue comme un élément à manipuler avec précaution. Dans une société où l’apparence et l’hygiène ont une place centrale, prendre soin de ses cheveux est un geste profondément culturel, ancré dès l’adolescence.
Les marques coréennes de cosmétique capillaire comme Innisfree, Amorepacific ou Ryo intègrent d’ailleurs souvent des gammes « purifiantes » ou « anti-pollution », répondant à ces préoccupations environnementales — et indirectement, à cette fameuse peur de la pluie.
Une crainte qui résiste à la science
Aujourd’hui encore, malgré les explications scientifiques disponibles, la méfiance face à la pluie persiste dans certains cercles. Un peu comme la croyance selon laquelle dormir avec les cheveux mouillés rendrait malade, ou que couper ses pointes les ferait pousser plus vite, l’idée que la pluie fait tomber les cheveux continue de circuler, portée par l’imaginaire collectif.
Et si, au fond, ce n’était pas seulement une question de science ? La pluie, en Corée, semble incarner quelque chose de plus profond : l’invisible menace environnementale, le rappel que même ce qui semble naturel peut avoir changé sous l’effet de l’activité humaine.
Un mythe révélateur d’une conscience écologique
La croyance selon laquelle la pluie provoquerait la chute de cheveux en Corée du Sud est certes infondée, mais elle illustre un rapport culturel sensible à l’environnement. Dans une société où la propreté, l’apparence et la santé sont étroitement liées, cette peur relève autant de l’hygiène que du symbole.
Alors non, la pluie ne rend pas chauve. Mais elle continue, à sa manière, de nourrir les récits du quotidien — et de révéler, entre les gouttes, les préoccupations d’un pays attentif à tout ce qui touche à la beauté, au corps et à l’équilibre.