Écriture inclusive : 4 arguments en sa faveur pour déjouer les polémiques

Depuis qu’elle s’est incorporée dans la langue française, l’écriture inclusive ne cesse d’agiter les débats. Le Sénat s’est de nouveau emparé du sujet, pointant un langage « inutile », qui fait « tâche » dans le patrimoine littéraire bleu, blanc, rouge. Pour manifester leur désaccord avec cette règle de rédaction, les sénateur.ice.s ont même présenté une proposition de loi assez musclée. Jugée illisible et superflue, l’écriture inclusive retrace pourtant les contours d’une langue éminemment conjuguée au masculin. Elle s’affranchit des vieux codes qui prétendent que le masculin l’emporte toujours et met un point d’honneur à rétablir l’égalité des genres. Pas étonnant qu’elle dérange… Pour redonner ses lettres de noblesse à l’écriture inclusive, voici 4 arguments qui plaident sa cause.

Elle met l’accent sur l’égalité des genres

Selon les règles grammaticales, le masculin prévaut toujours sur le féminin. Présentées comme une solution de facilité, ces pratiques écrites sont en fait une énième empreinte du patriarcat. Ce n’est pas un mystère, la « prestigieuse » langue de Molière dégouline de sexisme. Pourtant, aussi curieux que cela puisse paraître, cette masculinisation du vocabulaire est plutôt récente. Elle remonte au 17e siècle.

Si, depuis les bancs de l’école, nos stylos penchent vers le « il », ce n’est pas seulement pour des raisons de praticité. À l’époque, une poignée de grammairiens se sont persuadés que le genre masculin était plus « noble » que le féminin. Ils se sont donc attelés à gommer toutes les traces du « féminin » pour imposer le masculin en première ligne. Cette réforme à forte connotation machiste était donc surtout un moyen d’invisibiliser les femmes et de les décrédibiliser un peu plus.

Mais ce n’est pas la seule bavure de langage. Les mots féminins, eux-mêmes, renferment souvent une symbolique péjorative. C’est le cas par exemple du mot « un gars », qui évoque un garçon. Mis au féminin, il se transforme en « garce » et illustre une femme de mauvaise vie. Même écho avec le terme « entraîneur », qui renvoie à un coach de sport, rien de plus banal. Une fois intervertie en « entraîneuse », il reflète une femme qui travaille dans un bar et qui use de son charme pour inciter les clients à consommer.

En résumé, la langue française est une arme idéologique qui pulvérise les copies (et les esprits) de misogynie. L’écriture inclusive, elle, suggère une sémantique plus équitable, qui ne laisse personne sur la sellette. Plus neutre et représentative de la réalité, elle évite les diverses formes de discriminations. Qu’elle s’applique aux offres d’emploi ou à toute la paperasse administrative, l’écriture inclusive prône la parité et l’égalité des chances. Elle se répercute positivement dans l’imaginaire des personnes qui se définissent en dehors du masculin.

Elle encourage la réflexion sur le langage

La langue française est le miroir des normes sociales. C’est donc bien plus qu’un simple instrument d’expression. Cette langue, qui nous semble si familière, est une sorte de soft power qui influence notre façon de penser « ni vu ni connu ». Depuis des décennies, une mentalité masculiniste déteint sur elle, sans même que nous en ayons conscience. L’écriture inclusive souligne ces inégalités de l’ombre et pointe ce qui nous conditionne depuis que nous savons empoigner un stylo. Elle encourage à réfléchir sur la manière dont les mots peuvent troubler notre perception des rôles de genre.

Elle prouve que la langue française n’est pas statique, mais qu’au contraire, elle suit de très près les évolutions de la société. Selon ses principaux.ales détracteur.ice.s, l’écriture inclusive « dénature » la langue française. Pourtant, elle cherche à la rendre plus juste. Qu’importe si elle retourne Baudelaire dans sa tombe, l’écriture inclusive marque un changement qui fait sens avec l’ère actuelle. L’écriture inclusive n’est pas une simple réforme orthographique pour faire rager les enfants. Elle incarne le progrès et ouvre une parenthèse nécessaire sur la diversité.

Elle ne déforme pas la langue française, elle l’enrichit

L’écriture inclusive est régulièrement accusée de pervertir la langue française et de trahir des années d’histoire littéraire. Pourtant, elle ce n’est qu’une forme « rafraîchie » de la règle de proximité, qui faisait foi jusqu’au XVIIe siècle. Elle stipule que l’adjectif s’accorde en genre avec le nom le plus près. C’est donc le dernier mot qui l’emporte. Ainsi, elle donne la priorité au genre féminin lorsque des personnes de sexes différents sont impliquées. La langue française est donc loin d’être « intouchable”. Elle apparaît « sacrée » seulement lorsqu’elle perturbe « l’ordre » traditionnel des genres.

L’écriture inclusive a l’ambition d’étoffer la langue française sur le fond plus que sur la forme. Elle ne fait que retranscrire une réalité contemporaine dans laquelle les femmes et les minorités de genre souhaitent s’émanciper de standards archaïques. D’ailleurs, pour sa défense, elle est beaucoup plus abordable que certaines règles d’orthographe rigides et pourtant bien accessoires… L’écriture inclusive plante le crayon en plein dans l’autorité masculine, c’est certainement pour cette raison qu’elle divise autant.

Elle ne se résume pas au point médian

Les fin.e.s protecteur.ice.s de la langue française se soulèvent contre l’écriture inclusive, en appuyant son caractère « incompréhensible ». Selon leur dire, elle embrouille la compréhension des textes et interfère à la lecture. Iels rejettent la faute sur ce fameux « point médian » qui allonge les mots pour les rendre « mixte ». Iels se passionnent soudainement pour le sort des dyslexiques et des personnes porteuses de déficiences visuelles, en prétendant que l’écriture inclusive exclut d’office cette frange de la population. Une hypocrisie évidente où le « handicap » sert de plaidoyer au lieu de susciter un intérêt véritable.

Cependant, même si le point médian est le signe « concret » de l’écriture inclusive, il ne constitue pas son identité à 100 %. D’ailleurs, l’écriture inclusive repose sur plusieurs grands principes qui surpassent cette simple « ponctuation » d’usage. Le fait d’accorder les métiers, fonctions ou statut au genre est déjà une forme d’écriture inclusive. Dire « chirurgienne », « autrice » ou « cheffe », c’est manifester une intention de parité. Plusieurs associations féministes indiquent qu’utiliser à la fois le féminin et le masculin pour parler d’un groupe « mixte » est aussi un marqueur d’inclusivité. L’écriture inclusive a donc de multiples visages.

L’écriture inclusive, en passe de disparaître ?

Ce n’est pas la première fois que l’écriture inclusive se retrouve en mauvaise posture. Pourtant, cette fois-ci, le Sénat semble bien déterminé à l’effacer du paysage. Lundi 30 octobre, les sénateur.ice.s ont adopté une proposition de loi visant à bannir ces nouvelles règles de rédaction, jugées « contraignantes » et « inefficaces ».

Votée presque à l’unanimité avec 221 voix contre 82, elle prévoit principalement d’interdire l’écriture inclusive dans les modes d’emploi, les contrats de travail, les règlements intérieurs d’entreprises, mais aussi les actes juridiques. Parmi ses autres angles d’attaque : l’éducation. La proposition de loi souhaite évincer l’écriture inclusive de tous les supports scolaires. Ce projet, porté par la droite, retranscrit les valeurs du parti politique, très à cheval sur les « traditions ».

Même si cette proposition de loi galvanise toute une classe politique, elle n’est pas sûre de se concrétiser et de se poursuivre sur les bancs de l’Assemblée. Alors que de plus en plus d’entreprises privées ou publiques plébiscitent l’écriture inclusive, il semble difficile de faire machine arrière. L’écriture inclusive est loin d’être une superficialité de « plus ». Elle ouvre un chapitre inédit sur la paix des sexes.

L’écriture inclusive, qui implique seulement quelques petits rajouts tout simples, se voit affublée d’une étiquette « complexe ». Or, les détracteur.ice.s semblent omettre que ce qui fait la langue française, c’est sa nature « tarabiscotée ». La révolution se fait aussi à travers les mots.

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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