Faire « revivre » nos proches avec l’IA : une nouvelle perspective sur le deuil ?

L’intelligence artificielle a investi le quotidien de nombreuses personnes. Sollicitée pour écrire des dissertations sans bouger le petit doigt, façonner des accroches Tinder sur-mesure ou concocter des lettres de motivation en un éclair, l’IA repousse les limites du possible. Mais au-delà d’entretenir notre flemme intellectuelle, elle prétend aussi à réparer certaines de nos plaies intérieures. Désormais, des outils performants permettent de ressusciter nos défunts d’entre les morts et leur redonner la parole post-mortem. Faire « revivre » nos proches avec l’IA aurait pu être un titre de la série Black Mirror, mais la réalité a rattrapé la fiction. Ce réveil 3.0 de nos anges a-t-il vraiment une fonction thérapeutique ou au contraire ne rend-il pas l’adieu plus douloureux ?

Réveiller les morts : nouvelle compétence débloquée par l’IA

Il y a quelques années encore, l’IA faisait partie des décors des dystopies et autres contes futuristes. Aujourd’hui, elle compose des films de toutes pièces, participe activement à la conception de traitements contre les cancers ORL et façonne des œuvres qui se vendent à prix d’or. L’intelligence artificielle n’est plus de l’ordre de « l’imaginaire », elle est à nos portes. À notre échelle, elle est surtout utilisée pour formuler nos cartes de vœux, condenser un cours d’histoire de dix pages ou trouver nos mots lorsqu’ils ne viennent pas naturellement.

Mais en parallèle de ces usages, devenus « ordinaires », l’IA a d’autres ambitions. Elle n’a plus envie d’être un simple « coup de pouce », elle veut avoir une vocation thérapeutique. Dans cette perspective, de nombreux outils d’IA, plus poussés que le sacro-saint ChatGPT, s’attèlent à faire « revivre » nos proches, partis vers l’au-delà. Tout a commencé aux États-Unis, sous l’impulsion du Dr Pratik Desain, un cerveau formé à la prestigieuse Silicon Valley, berceau de la Tech. Cet informaticien chevronné a mis au point un logiciel capable de redonner une « âme » à nos proches disparus et de les sortir de leur sommeil éternel.

Leur jumeau numérique, « deadbot » dans le jargon geek, s’esquisse sur l’écran, de la même manière qu’un appel en FaceTime. Pour que cette IA puisse faire « revivre » nos proches de façon convaincante et authentique, elle doit récolter, en amont, toute une panoplie de données. Enregistrements vocaux, photos, bribes de publications Facebook ou Instagram, extraits vidéos… le tout amalgamé et greffé à un avatar qui calque au millimètre les traits de la personne passée de l’autre côté. Nous pouvons donc espérer bien plus qu’un monologue face à une pierre tombale froide. Nos questions ne se soldent par sur un silence assourdissant, mais sur une réponse, perturbante de réalisme.

Converser avec ses proches défunts : quels bienfaits ?

Faire « revivre » ses proches avec l’IA est loin d’être anecdotique ou superflu. Au contraire, le domaine de la deathtech, qui dépoussière les pratiques funéraires classiques, a réussi à trouver son public. D’ailleurs, certaines stars se sont laissées tenter par cette expérience, pour le moins sensible. En 2020, le rappeur américain Kanye West offrait, non pas une paire de louboutin ou un sac de luxe à sa dulcinée Kim Kardashian, mais un cadeau plus riche de sens. Il s’agissait d’un hologramme persuasif et troublant de son père, envolé en 2003. Une mise en scène criante de vérité. La voix, la gestuelle, le visage… tout était réuni pour dresser les poils et toucher le cœur. Ce double virtuel avait tout du vrai.

Ces personnes, qui logent au paradis, reprennent alors soudainement vie. Cette innovation aussi terrifiante que fascinante est vouée à retarder ce terrible départ et à anesthésier momentanément notre souffrance. Lorsqu’une personne entame son ultime voyage, que ce soit après une bataille acharnée contre la maladie ou des suites de l’âge, nous la quittons avec d’amers regrets. Nous avons l’impression de ne pas lui avoir tout dit. Alors rouvrir ce dialogue laissé subitement en suspens peut s’avérer « libérateur ».

Le fait de revoir notre proche, même si ce n’est que dans l’immatérialité des pixels, nous console dans notre peine. C’est comme si nous avions enfin la chance de prolonger cette conversation pour toujours. Certes, les paroles sonnent robotiques et le visage se déforme parfois dans les mouvements, mais nous avons le sentiment d’une présence. Faire « revivre » nos proches avec l’IA peut paraître assez « lunaire », voire incongru, mais ce rendez-vous virtuel qui transcende les frontières de la mort comble le vide, malgré tout.

Faire « revivre » ses proches avec l’IA, est-ce toujours sain ?

Si faire « revivre » ses proches avec l’IA peut calmer la douleur, cette formule ne referme pas la cicatrice pour autant. Elle a plutôt un effet placebo. Les sociologues sont un peu plus frileux.ses avec ce concept d’immortalité numérique. Selon elleux, recréer la personne défunte à la manière d’une marionnette virtuelle ne ferait que ralentir le deuil et induire l’esprit en erreur. Cette réanimation post-mortem risque de nous plonger dans le déni. Au lieu d’avancer, nous stagnons dans notre chagrin.

« Après une période de choc liée au décès, la phase suivante est de rechercher la personne décédée. On va croire qu’on la croise dans la rue, on va relire ses messages… Cette phase est normale la première année, mais si elle continue, elle devient pathologique », alerte Véra Fakhry, psychologue spécialiste du deuil entre les lignes du média les Echos

En filigrane, nous pouvons également tomber dans le piège de la dépendance. C’est un engrenage. Plus nous allons discuter avec cette personne défunte, moins nous aurons envie de la « lâcher ». La séparation sera donc d’autant plus brutale et déchirante si les applications finissent portes closes. D’ailleurs, ces services funéraires d’un nouveau genre ne sont pas gratuits. Sans grand hasard, la peine se monétise. Et le malheur des uns fait le bonheur financier des autres. Pour faire « revivre » nos proches avec l’IA, il faut compter entre 1500 et 3000 €.

D’autres manières, plus saines de faire son deuil

Faire « revivre » ses proches avec l’IA pousse à croire que la personne n’est pas partie, qu’elle existe encore quelque part dans un coin du net. Sur le coup, ça nous rassure, mais par la suite, nous en subissons les frais. Le deuil est un chemin tortueux, partagé entre les petites vagues de joie et les rechutes à base de larmes salées. C’est une étape très personnelle qui se vit différemment d’un être à un autre.

En revanche, il existe mille et une façons de passer ce cap qui nous laisse dans un état second. Nous pouvons par exemple nous adonner à des rituels commémoratifs comme écrire une lettre à cœur ouvert à la personne défunte ou perpétuer une tradition qui lui était chère. Nous avons aussi la possibilité de planter un arbre en son honneur dans notre jardin pour l’incarner de façon plus abstraite.

Faire « revivre » nos proches avec l’IA est avancé comme une énième prouesse technologique. Mais plutôt que de rester sur une image « synthétique » de la personne disparue, mieux vaut se contenter des souvenirs du passé et des derniers instants.

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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