Dans « Materialists », en salles depuis ce 2 juillet 2025, Celine Song signe une comédie romantique qui défie toutes les attentes. Avec un casting prestigieux – Dakota Johnson, Pedro Pascal, Chris Evans – et un décor new-yorkais familier, le film semblait, à première vue, cocher toutes les cases de la rom com traditionnelle. Très vite, il devient toutefois clair qu’il s’agit d’autre chose : une œuvre audacieuse, réaliste, où l’argent et le romantisme cohabitent sans tabou.
Amour, chiffres et capitalisme
Lucy, interprétée avec subtilité par Dakota Johnson, est une entremetteuse professionnelle dans une agence de rencontres haut de gamme. Son métier ? Mettre en relation des célibataires selon des critères parfois aussi précis qu’impitoyables : taille, poids, profession, revenus annuels. Elle, qui a arrangé 9 mariages, n’a pourtant jamais su faire durer l’amour dans sa propre vie.
Tout change lorsqu’elle rencontre Harry, un riche et attentionné investisseur (Pedro Pascal, remarquable dans ce rôle inhabituel). L’arrivée soudaine de son ex, John – Chris Evans, touchant dans un rôle tout en retenue – vient cependant brouiller les cartes. D’un côté, la sécurité financière ; de l’autre, un amour sincère, mais sans le sou.
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Une héroïne accusée d’être « vénale »
En interrogeant frontalement le rôle de l’argent dans les relations amoureuses, « Materialists » s’expose à une réaction familière, surtout lorsqu’on parle d’une femme : « elle veut son argent ». Pourtant, Celine Song ne tombe jamais dans la caricature. Lucy n’est pas une « croqueuse de diamants ». Elle est une femme pragmatique, marquée par un passé où l’insécurité matérielle dictait chaque choix. Chercher le confort ne relève pas ici de la cupidité, mais d’un désir profond de stabilité.
Ce regard lucide sur les dynamiques économiques du couple contemporain dérange. En exposant la marchandisation des relations et l’obsession des apparences dans les agences de rencontre, elle pointe du doigt une réalité souvent tue.
Romantisme sans illusion
Loin d’être un pamphlet froid, « Materialists » est aussi une histoire d’amour. Et pas des moindres. Celine Song y insuffle une tendresse authentique entre ses personnages. L’amour y est complexe, fragile, et profondément humain. Si John vit dans une colocation sans avenir, conduit une voiture brinquebalante et peine à vivre de son métier de comédien, il incarne ce lien indéfinissable, impossible à monnayer, que Lucy ne parvient pas à oublier.
À mi-parcours, un événement tragique bouleverse le récit, rappelant brutalement que la vie ne suit jamais les lignes droites des scénarios classiques. Ce twist vient ébranler le spectateur confortablement installé dans un schéma de triangle amoureux. La réalisatrice, déjà acclamée pour Past Lives, l’assume : « Ce film n’est pas léger. Il est romantique, oui. Mais le romantisme, ce n’est pas ignorer la réalité ».
Un coup porté aux préjugés sexistes
« Materialists » s’attaque également à la manière dont le genre de la comédie romantique est perçu. Longtemps reléguée aux « films de gonzesses », la rom com a été marginalisée, moquée, considérée comme un divertissement mineur. Pour Celine Song, cette condescendance est non seulement sexiste, mais absurde. « L’amour rend idiot tout le monde, même les gens les plus brillants. C’est peut-être pour ça qu’il fait peur », analyse-t-elle.
Et si « Materialists » marque autant, c’est aussi parce qu’il remet l’amour à sa juste place : au centre de nos préoccupations humaines, loin des clichés édulcorés mais sans renoncer à la beauté du sentiment.
Une œuvre résolument moderne
Entre satire sociale et drame sentimental, « Materialists » refuse de choisir. Et c’est ce qui en fait un film aussi surprenant que nécessaire. En assumant le poids de l’argent dans la quête amoureuse, Celine Song tend un miroir sans complaisance mais profondément empathique à notre époque.
Une héroïne accusée « d’en vouloir à l’argent » devient ainsi le révélateur de nos contradictions. Car derrière cette formule, il y a une peur : celle de reconnaître que nos choix amoureux ne sont jamais entièrement déconnectés du monde matériel. Et que l’amour, quand il ose regarder la réalité en face, n’en est pas moins vrai pour autant.