Pourquoi les clowns vous terrifient-ils autant au cinéma ?

Les clowns peuplent les films d’horreur et excellent dans l’art de foutre la trouille. Sous leur apparence joyeuse, ils cachent souvent de sombres monstres assoiffés de sang et de chair fraîche. Les clowns, si sympathiques dans les fêtes foraines, se muent en de diaboliques personnages et rivalisent avec toutes les créatures gores du petit écran. Et s’ils surclassent fantômes, morts-vivants et poupées possédées au jeu de l’effroi, ce n’est pas un hasard.

Un visage trop maquillé pour être humain

Des traits exagérés, un teint trop blanc pour être vrai, des lèvres rouges, une perruque folle et un costume bariolé sans aucune cohérence esthétique. Le clown évoque les goûters d’anniversaire, les fêtes foraines et les cirques. Il jongle avec des balles, fait mine de trébucher sur des obstacles invisibles et projette de l’eau avec sa broche en fleurs. Son métier consiste à se ridiculiser devant le public, pas à terroriser les enfants.

Or, si ce personnage grimé de la tête aux pieds a été créé pour amuser la galerie, il fait aussi éclater des sanglots sur son passage. Pour les plus hostiles, c’est un cauchemar grandeur nature, une incarnation du mal. D’ailleurs, ce farceur aux looks excentriques n’est plus aussi amusant lorsqu’il se retrouve sous des néons blancs vacillants ou de l’autre côté d’une bouche d’égout. Malgré toute la couleur qu’il porte sur ses épaules, il a quelque chose de sinistre en lui. En fait, le clown brouille les codes de la reconnaissance faciale. Le cerveau, programmé pour décoder les émotions à travers les expressions du visage, se retrouve perdu : il ne sait plus s’il doit rire, fuir ou se méfier.

Les psychologues parlent ici de l’« uncanny valley », littéralement « la vallée de l’étrange ». C’est cette sensation d’inquiétante étrangeté que nous ressentons face à quelque chose de presque humain, mais pas tout à fait. Comme une poupée trop réaliste ou un robot humanoïde, le clown entre dans cette zone trouble : familier, mais dérangeant. Sous le maquillage, il y a un visage, mais lequel ? Et s’il cachait autre chose ? Cette impossibilité à lire les émotions crée une tension naturelle qui fait le gagne-pain de l’industrie du glauque. Les réalisateurs de films d’horreur n’hésitent pas à dénaturer cette image du farceur en monocycle.

Le paradoxe du rire et de la peur

Le clown est aussi doué pour nous faire pleurer de rire que pour nous faire trembler de peur. Dans « Bozo le Clown » ou « Le Cirque » avec Charlie Chaplin, le pantin maladroit s’avère inoffensif, voire même attachant, mais dans les œuvres récentes de la pop culture, il révèle toute sa noirceur. Il quitte ses lieux de prédilection pour s’ancrer dans des décors plus lugubres. Ses dents s’aiguisent pour devenir des crocs tranchants, son sourire prend un virage machiavélique et son regard dit silencieusement « je vais te tuer ». Pourquoi le rire du clown, censé être communicatif, devient-il soudain glaçant ? Parce qu’il est hors contexte. Dans un cirque, un rire tonitruant amuse, mais dans un couloir sombre, une maison abandonnée et un parc d’attractions fantômes, il devient un son inquiétant, presque surnaturel.

Le clown joue sur la rupture du cadre rassurant. Il transforme la joie en malaise, le jeu en menace. C’est ce contraste extrême entre l’humour et l’horreur qui fascine tant les réalisateurs : ce qui devait nous faire rire devient source d’angoisse. Et c’est peut-être pour ça que Pennywise (« Ça ») ou Art (« Terrifier ») sont si efficaces. Ils s’infiltrent dans un imaginaire enfantin et le pervertissent, comme si notre propre innocence devenait complice du cauchemar.

Le cinéma se plaît à pervertir le clown

Le clown diabolique est fidèle au registre de l’horreur. Il ne déroge pas aux scénarios d’épouvante et inspire de nombreux costumes d’Halloween. Ce boute-en-train en costard baroque n’était pas forcément prédestiné à se transformer en « grand méchant » et à semer la terreur le soir du 31 octobre. Or tout a basculé en 1978 lorsque la police de Chicago a fait tomber le masque de John Wayne Gacy.

Ce tueur en série, qui a fait 33 victimes, avait la particularité de voler des vies la nuit et d’en améliorer le jour, sous l’étoffe de « Pogo le clown ». Il s’affairait à redonner le sourire aux enfants malades des hôpitaux et en parallèle, il commettait l’impensable. Il n’en fallait pas plus pour atteindre la réputation de ce cher clown et l’associer à tous les adjectifs de l’effroi. Et Stephen King en a pris bonne note pour créer l’abominable « Ça ».

Au-delà de ce sordide fait divers qui a éraflé à tout jamais le visage jovial du clown, ce personnage est également une métaphore sourde de la folie humaine. Le clown incarne tout ce qui dérange et feint le délire pour mieux le refléter. En témoigne le Joker. Dans le film à succès, le comédien raté se replie dans la démence. Il se grime en clown pour donner plus de réalisme à son alter ego assassin.

Alors la prochaine fois qu’un regard fardé surgira sur grand écran, souvenez-vous : ce n’est peut-être pas le clown que vous craignez vraiment, mais ce qu’il révèle de votre propre humanité.

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.

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