Le Zurich Summit, rendez-vous incontournable de l’industrie audiovisuelle, a été marqué cette année par l’apparition remarquée d’une « actrice » pas comme les autres : Tilly Norwood, première « comédienne » entièrement générée par intelligence artificielle.
Une carrière déjà lancée
Tilly n’a ni passé d’audition, ni suivi de cours d’art dramatique, et encore moins vécu les castings interminables que connaissent les comédiennes en herbe. Elle a été créée par le studio Xicoia, spin-off de la société Particle6 fondée par l’actrice et productrice Eline Van der Velden. L’ambition est claire : « Nous voulons qu’elle devienne la prochaine Scarlett Johansson ou Natalie Portman », a-t-elle confié au Zurich Summit.
En juillet dernier, Tilly a fait son entrée sur la scène publique avec une annonce sur Facebook : sa première apparition dans une comédie satirique, « AI Commissioner », produite par Particle6. Son message – « Je suis peut-être générée par l’IA, mais je ressens des émotions bien réelles » – a déclenché un mélange de fascination et de scepticisme. L’actrice et productrice Eline Van der Velden a même confirmé que Tilly allait prochainement être représentée par une agence, comme n’importe quelle actrice en chair et en os.
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L’argument économique derrière « la magie »
L’un des grands atouts vantés par l’actrice et productrice Eline Van der Velden est la réduction des coûts. Pas de journées interminables de tournage, pas de fatigue, pas de contrats à rallonge ni de cachets mirobolants. « Les spectateurs se soucient de l’histoire, pas de savoir si la star a un pouls », résume-t-elle dans un post LinkedIn. Une phrase qui en dit long sur la vision économique derrière cette innovation.
Et c’est là que la polémique gronde. Car derrière l’argument séduisant de la créativité libérée, se cache une logique simple : utiliser l’IA permet surtout de ne pas payer une actrice humaine. Certains observateurs parlent déjà d’une mort annoncée du métier de comédienne, remplacé par des figures numériques dociles, modelées à la demande et toujours disponibles. Dans un contexte où des milliers de femmes talentueuses rêvent de briller au cinéma, le raccourci est brutal : plus besoin de vous, merci, place à l’algorithme.
Une « star » artificielle uniformisée
Autre critique récurrente : l’apparence hypernormée de Tilly Norwood. Cheveux brillants, peau « lisse », sourire hollywoodien – bref, une actrice « idéale » selon les standards d’une société déjà saturée par les injonctions esthétiques. Au lieu de bousculer les représentations, cette IA semble les renforcer. Où sont les corps différents, les visages singuliers, les parcours atypiques ?
L’inclusivité, déjà fragile dans le cinéma traditionnel, pourrait être mise à mal par l’arrivée de ces comédiens numériques. Car si l’IA reflète ce qu’on lui donne, elle reproduit aussi nos biais et nos clichés. Certaines personnes dénoncent donc un vrai danger : créer des stars artificielles uniformisées, au détriment de la diversité humaine.
Un débat brûlant pour l’avenir du cinéma
La réception de Tilly divise profondément. Pour certaines personnes, il s’agit d’une avancée « inévitable », qui ouvrira de nouvelles formes de narration. Pour d’autres, c’est une menace directe contre l’authenticité et l’humanité du cinéma. Après tout, le métier d’acteur n’est pas seulement de réciter un texte ou d’occuper un cadre : c’est l’art de vibrer, de transmettre, de faire passer des émotions uniques parce qu’elles viennent d’une histoire vécue. Une chose est sûre : l’ère des acteurs IA n’est plus une simple projection futuriste. Elle est déjà là, prête à occuper nos écrans.
Au fond, Tilly Norwood n’existe pas, mais le débat qu’elle incarne, lui, est bien réel. La question reste entière : allons-nous applaudir ces nouvelles stars numériques, ou bien regretter, trop tard, d’avoir sacrifié l’humain au profit de l’illusion ?