Santé menstruelle : un tabou frein à l’égalité qui pèse lourd sur les droits des femmes

Alors que 800 millions de femmes (et autres personnes menstruées) ont leurs règles chaque jour dans le monde, elles demeurent ignorées. En juin 2022, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) tirait la sonnette d’alarme sur le tabou de la santé menstruelle qui entrave les droits de tou.te.s. Qu’en est-il en 2023 ?

Une situation discriminatoire

Les études montrent que les obstacles provoqués par les règles varient en fonction de caractéristiques géographiques, socio-économiques et individuelles. En effet, ces problèmes sont exacerbés chez les plus pauvres, les groupes ethniques, les réfugié.e.s et les handicapé.e.s.

Cela n’est pas étonnant dans la mesure où ces personnes vivent dans des contextes compliqués voire d’urgence. Elles ont donc moins accès aux produits menstruels, aux installations de base et sont parfois même exclues de la vie communautaire.

Une stigmatisation latente

À travers le monde, les règles souffrent d’un stigmate latent. Ce tabou est la cause des irrégularités autour de la santé menstruelle.

Des menstruations qui isolent

Au Népal par exemple, les personnes menstruées des régions rurales sont considérées comme impures pendant leurs menstruations. Pas d’autre choix alors pour elles que de partir s’isoler dans de petites huttes. Elles doivent rester éloignées de leur famille pendant une semaine entière par mois, soit 2040 jours en moyenne dans leur vie.

Aussi, elles n’ont pas accès au temple et aux installations sanitaires. Pour rendre crédibles de telles mesures, on affirme que si elles s’approchent des maisons quand elles ont leurs règles, le feu pourrait s’y propager, les tigres être attirés et les cultures contaminées. Ce schéma se retrouve dans de nombreuses cultures.

D’ailleurs, l’occident connaît également son lot de superstitions. Et même si les conséquences sont moins dramatiques, elles participent tout de même à une décrédibilisation et une stigmatisation des personnes menstruées (notamment les femmes). De fait, les règles ont longtemps servi pour justifier l’incapacité d’une femme à être à la tête d’un État ou d’une entreprise. Les fluctuations hormonales pourraient soi-disant leur faire perdre la raison et prendre de mauvaises décisions.

Une méconnaissance source d’embarras

Lors du 50e Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies de juin 2022, l’OMS faisait état du « sentiment de honte et d’embarras » ressenti par les personnes menstruées à travers me monde. Cela ne surprend pas lorsque les études montrent que de nombreuses personnes ignoraient l’existence des règles avant leur premier cycle.

De même, les publicités ne cessent de représenter les règles par un liquide bleu en utilisant des paraphrases plutôt que d’utiliser les mots « menstruations » ou « règles ». À croire que le sang est sale et « porte la poisse ». Il faut briser ce tabou afin d’obtenir l’égalité et une meilleure santé menstruelle pour tou.te.s.

Pour cela, des scientifiques aident à casser ces clichés. En 2017, une étude publiée dans Frontiers in Behavioral Neuroscience prouvait que « la production d’hormones durant les menstruations n’interfère pas sur les fonctions cognitives« . Il est fou d’en arriver là, mais au moins, la preuve est faite : les règles ne font pas perdre la raison.

L’impossibilité d’hygiène intime, un tabou lourd de conséquences

Dans le monde, 500 millions de personnes menstruées n’ont pas accès aux protections hygiéniques. Cela représente 62,5 % d’entre elles. Elles se servent de chiffons, de papier, parfois même de terre : multipliant les chances d’infections.

Au-delà d’un accès à des protections, beaucoup n’ont même pas de lieu où se changer. Une école sur cinq n’a pas de toilettes. Ce chiffre, moyenne mondiale, est bien plus important dans les pays en développement. La conséquence directe selon l’Unesco est qu’une partie des élèves menstrué.e.s ne va pas à l’école durant leurs règles. Alors, le tabou menstruel pèse très lourd sur les droits de tou.te.s.

En plus d’être interdites d’une bonne santé menstruelle, ces jeunes personnes sont aussi privées d’éducation. Malgré ces alertes inquiétantes, Kelly Ann Naylor, directrice des programmes Eau, assainissement et hygiène (WASH) et Climat, environnement, énergie et réduction des risques de catastrophe (CEED) à l’UNICEF observe que :

« Jusqu’à récemment, peu d’attention a été accordée à la définition, à la prise en charge et à l’investissement dans la santé menstruelle »

La santé menstruelle, un luxe

Dans le monde, encore 500 millions de personnes connaissent la pauvreté menstruelle. Cela signifie une difficulté, parfois même une impossibilité, d’accès aux protections pour des raisons économiques.

Une situation inquiétante

Aucun pays n’est épargné, en France par exemple, 1,7 million de personnes sont concernées. Rien d’étonnant dans la mesure où une belle taxe rose règne sur les protections menstruelles. En France, ces produits de première nécessité étaient taxés à 20 % jusqu’en 2015, c’est-à-dire comme des produits de luxe. Leur TVA est depuis à 5,5 %. En comparaison, la litière pour chat est taxée à 2,5 %.

Ainsi, même pour les personnes qui peuvent se permettre d’acheter des protections, le coût reste important. On estime qu’une personne menstruée en consomme en moyenne 15 000 au cours de ces 400 cycles minimum. Beaucoup se sont essayé.e.s à estimer le coût des protections menstruelles sur une vie. En 2019, Le Monde s’est servi d’un calculateur développé par la BBC et a estimé ce coût à environ 3 800 euros par personne menstruée dans une vie.

Cependant, de nombreux autres frais annexes seraient à prendre en compte : gynécologue, remplacement de linge, de vêtements, etc. Et si les culottes menstruelles représentent en effet une belle économie sur le long terme, elles ne sont pas financièrement accessibles à tou.te.s à l’achat et ne conviennent pas forcement à chacun.e.

Des États dans l’action

Pour tâcher de limiter ces coûts, plusieurs États ont agi législativement. En 2018, la Colombie décidait de supprimer la TVA sur ces produits. Elle encourage alors la Jamaïque, Trinité-et-Tobago, et le Mexique à faire de même et le Costa Rica à la baisser à 1 %. En 2021, la France décidait de la gratuité des protections pour les étudiant.e.s. En 2020, elles sont devenues totalement gratuites dans le cadre d’une loi contre la précarité menstruelle : une première mondiale.

Hélas, cela ne suffit pas pour garantir la santé menstruelle, victime du tabou. Des « activistes menstruelles » s’organisent donc à travers le globe. Iels distribuent notamment des protections hygiéniques et des coupes menstruelles tout en luttant pour l’obtention de leur remboursement.

En attente d’action des politiques publiques

Vous l’aurez compris, il est absolument nécessaire que les pouvoirs politiques s’inquiètent du tabou et des injustices inhérentes à la santé menstruelle.

« La santé menstruelle devrait devenir une priorité des politiques publiques », estime Julie Jeannet, journaliste pour Amnesty International

Une personne menstruée ne devrait pas avoir à choisir entre se nourrir ou se protéger. Les protections hygiéniques doivent devenir accessibles à tou.te.s, sans exception. Par ailleurs, l’OMS recommande trois mesures à la communauté internationale.

  • « Reconnaître et appréhender la menstruation comme un sujet de santé et non d’hygiène » – C’est-à-dire, prendre en compte les implications des règles, tant physiques que psychologiques ou sociales, tout au long de la vie menstruée
  • « Reconnaître que la santé menstruelle signifie donner aux personnes menstruées un accès à l’information et à l’éducation à ce sujet » – Il s’agit les éduquer sur toutes les questions d’hygiène et de confort relatives aux règles. Mais cela signifie aussi que les personnes menstruées « doivent également être mieux informées du fait qu’elles ont le droit de vivre dans un environnement exempt de préjugés sur les règles, pour accéder sans honte au travail et aux activités sociales »
  • « Lutter contre l’ignorance menstruelle à tous égards » – La docteure Daniela Ribbeck explique ce point « qu’il faut mettre la lumière sur le manque d’informations et de recherche sur la santé menstruelle. Par exemple, il n’y a pas de consensus scientifique sur la définition d’un cycle menstruel normal et, concernant le syndrome prémenstruel, on ne connaît toujours pas les causes, alors qu’il affecte 8 % des femmes ». Dans ce cadre, l’OMS entend aussi une sensibilisation des gynécologues et généralistes.

Les prémices d’une réglementation à la faveur de la santé menstruelle

À l’international, de nombreux pays s’activent depuis pour lutter contre le tabou de la santé menstruelle. En Espagne, un congé menstruel octroyé pour règles douloureuses a été voté. Au Japon, celui-ci est inscrit dans la loi depuis 1947 : les entreprises ne peuvent forcer un.e employé.e à travailler si iel demande un congé menstruel.

En revanche, rien n’oblige les entreprises nippones à payer ces congés. Alors, moins d’1 % des employé.e.s y ont recours. En Corée du Sud, une journée de congé menstruel non payé est autorisée par mois. Les entreprises sud-coréennes qui dérogent à la loi peuvent recevoir une amende de 3800 euros. Les sondages montrent que 19 % des employé.e.s se servent de ce congé menstruel.

Ce genre de congé menstruel existe également en Indonésie, à Taïwan et en Zambie. Hélas, ils sont gâchés par de multiples facteurs. Soit le congé doit se limiter à trois jours maximum par an, soit les entreprises ignorent la loi, soit la stigmatisation empêche les personnes menstruées de s’en servir. En France, Albane Gaillot, députée écologiste, a déposé un projet de loi à l’Assemblée nationale le 15 mars 2022. Le but est simple : la réelle prise en compte des règles et de la santé menstruelle « encore trop tabous dans l’espace public ».

Ainsi, la santé menstruelle est depuis toujours la victime d’un tabou si ancré dans notre société qu’il stigmatise les droits des personnes menstruées. Nous pouvons espérer que les récentes prises de position des institutions internationales déclencheront un mouvement vers l’égalité de tou.te.s, devenue urgente.

Charlotte Vrignaud
Charlotte Vrignaud
En tant que journaliste spécialisée dans les médias et la culture, mon quotidien est une aventure passionnante au cœur de l'évolution culturelle et médiatique de notre époque. Mon rôle consiste à décrypter et à partager les tendances émergentes, les innovations et les récits captivants qui façonnent notre société.
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