Il y a des phrases que beaucoup d’enfants ont entendues devant leurs assiettes. Des remarques, parfois difficiles à avaler, que l’on ne relevait pas forcément. En cette semaine mondiale de sensibilisation aux TCA, voici les comportements parentaux qui ont peut-être brouillé votre relation avec la nourriture.
« Tu ne quittes pas la table tant que tu n’as pas tout fini »
C’est une phrase qui a longtemps raisonné dans la cuisine. Même lorsqu’on avait le ventre plein à craquer et le pantalon Dora qui gondolait sur le nombril, les parents nous forçaient à finir les quelques restes dans notre assiette. Si on ne se pliait pas à leurs ordres, on pouvait camper devant le frigidaire pendant des heures. Alors on mangeait à contre-coeur et on redoutait ces coups de fourchette imposés sur fond de gros yeux.
Sur le coup, on pensait que nos parents nous disaient ça pour notre bien, pour que notre croissance se fasse correctement et que notre organisme ne manque de rien. Pourtant, ça nous a surtout appris à ignorer les signaux de satiété naturels. Aujourd’hui, on dévore la nourriture jusqu’à ne plus en pouvoir et on peine à savoir si on mange par appétit ou par obligation.
« Tu ne veux pas de légumes ? Tu n’auras pas de dessert »
C’était la menace ultime. Il fallait obligatoirement finir les légumes pour espérer avoir une crème à la vanille ou une mousse au chocolat. C’était surtout la meilleure technique pour nous dégoûter des aliments verts à tout jamais. On avalait alors les légumes, la grimace au visage et les doigts pincés sur le nez. On ne pensait plus qu’à ce dessert, promis par nos parents. Les légumes se sont vite apparentés à une punition et les desserts à une récompense. Une mauvaise catégorisation des aliments. Le message : un dessert, aussi réconfortant soit-il, se mérite. Cette pensée néfaste laisse la porte grande ouverte aux troubles alimentaires.
« Tu veux encore te resservir ? Tu as déjà assez mangé »
La table se transformait parfois en tribunal. Le moindre de nos gestes était analysé, commenté, jugé. Quand on laissait quelques denrées dans notre assiette, ce n’était pas « poli » et quand on réclamait une nouvelle tournée, on nous accusait d’être un goinfre. Nos parents avaient la mainmise sur notre assiette. C’était à eux de juger la quantité dont on avait besoin.
Or, ces réflexions sous couvert de bienveillance, peuvent induire de la honte autour de l’appétit ou du plaisir de manger. Désormais, on culpabilise quand on croque dans des aliments, surtout ceux qui ont la réputation d’être régressifs. Les troubles alimentaires commencent souvent par là, un « j’aurais pas dû manger ça, c’était de la gourmandise ».
« Les enfants en Afrique n’ont pas à manger, toi tu fais le difficile »
Dans un coin du monde, les enfants n’avaient pas la chance d’être nourri aussi généreusement que nous. Sous-entendu : on devait manger sans broncher, ni gémir sur notre sort. Si on le faisait, ça revenait à manquer de respect aux enfants d’Afrique, privés de bons plats. La nourriture apparaissait alors comme un privilège, plus qu’un besoin. On ne portait plus le même regard sur la nourriture. On nous a appris à ne pas avoir d’exigences et à nous contenter de ce qui avait au menu.
Un parent qui saute systématiquement les repas
On a parfois vu notre maman manger une simple pomme ou faire preuve de prudence avec les calories. On l’a aussi vu nous cuisiner des bonnes tartes dont elle n’a jamais connu la saveur. Or on le sait, les enfants apprennent par mimétisme. Ceux qui ont assisté à ce genre de scène ont ingéré cette idée selon laquelle manger « normalement » n’était pas autorisé. Qu’il fallait se censurer le palais et mettre ses envies sous cloche. Il existe d’ailleurs un nom pour qualifier ces mères, qui éduquent malgré elles aux troubles alimentaires : les almond mom.
Des repas centrés autour de la télé
C’était courant dans de nombreux foyers. Au lieu d’échanger sur les banalités de la vie, les parents laissaient la télé faire la conversation à leur place. On a donc souvent mangé en tête-à-tête avec Claire Chazal ou Jean-Luc Reichmann, sans vraiment avoir conscience de ce qu’on portait à notre bouche. Les va-et-vient de la fourchette étaient mécaniques au lieu d’être intuitifs.
Un parent qui se sert différemment selon le genre de l’enfant
« Ton frère a besoin de plus d’énergie pour devenir un homme », « Un homme se dépense plus qu’une femme, c’est normal qu’il ait de plus grosses portions ». Interprétation : une fille ne doit pas manger plus qu’un homme si elle veut garder « sa ligne ». Elle n’a pas les mêmes besoins énergétiques que ses homologues. Ces phrases qu’on entendait nous ont rapidement fait croire qu’il fallait faire preuve de modération, même lorsque notre ventre grondait. Pas étonnant que les femmes soient plus sujettes aux troubles alimentaires.
Les différences de traitement entre enfants autour de la table
Il y avait parfois un « chouchou » dans la fratrie et ça se ressentait à chaque repas. Il suffisait de plonger les yeux dans son assiette pour s’apercevoir du manque d’équité. Ce « fayot » de la maison avait toujours une friandise glissée sous la table ou à des compliments. Il y avait parfois des comparaisons, des mises en compétition sur la façon de manger. À l’âge adulte, on a donc vite besoin de combler cette carence affective et le placard de la cuisine, mis sous scellé pendant l’enfance, devient notre refuge.
Aujourd’hui, de plus en plus de familles appréhendent la nourriture comme un terrain d’exploration. Les parents ne forcent pas, ne punissent pas, mais observent, dialoguent, et surtout : font confiance au corps de leur enfant. Parce que manger devrait être un rituel plaisant, pas un moment qui noue la gorge.