Homme enceint : pourquoi cette réalité choque tant ?

Le 17 août dernier, le Planning Familial révélait au grand jour une nouvelle campagne 100 % inclusive. Un hymne à la diversité qui a pourtant fait enfler les polémiques. Une affiche représentant un homme enceint transgenre a notamment soulevé la grogne intarissable des extrémistes. « Contre nature », « propagande sociétale »… les critiques se sont envolées sur la toile, enracinant un peu plus une transphobie « ordinaire ».

Toute personne ayant un utérus entre les jambes est en capacité de porter un enfant. Les hommes trans ne dérogent pas à cette règle. Mais cette réalité, dès qu’elle est exposée, se prend le revers de l’hostilité. Un cocktail peu ragoûtant de croyances religieuses et de misogynies recouvre encore les mentalités. Décryptage.

Une campagne brillante face à une haine fertile

« Au planning familial, on sait que les hommes aussi peuvent être enceint« . C’est cette phrase qui a mis le feu aux poudres. Et derrière le hashtag #PlanningFamilial, la twittosphère s’est embrasée instantanément, brûlant ainsi la politesse à la tolérance.

L’extrême droite, toujours à l’affût d’un os à ronger, s’en est donnée à cœur joie. Un couple joliment illustré par l’artiste Laurier The Fox montrant un homme transgenre enceint… c’était un sujet de buzz servi sur un plateau doré pour les militants du RN et de Reconquête. Hélène Laporte, vice-présidente du RN à l’Assemblée Nationale a accusé le planning familial de « prôner la théorie du Genre ». Son homologue, Sébastien Chenu a utilisé un langage plus cru en postant « Mais que c’est con… et probablement dangereux au final, cette obsession de tout déconstruire ».

Ces affiches, injustement réduites à une indignation générale, soulèvent un tabou suprême. À savoir : l’image d’un homme trans au ventre arrondi, portant la vie. La société perçoit encore aujourd’hui cette réalité comme une aberration biologique. Déjà 10 ans auparavant, le premier homme enceint était dans le viseur.

L’homme enceint, une avancée prématurée pour notre société ?

En 2008, l’Américain Thomas Beatie était le premier homme enceint à briser la glace. Une annonce inédite globalement mal reçue aux États-Unis. Le jeune homme a dû apprivoiser des montées de haine partant du monde entier. Les plus excessif.ve.s venaient même à le comparer à un monstre.

Preuve d’une grande indifférence : il faut attendre 7 ans pour découvrir l’histoire de cette grossesse « hors du commun ». Le constat n’est pourtant pas entièrement noir. Les accouchements d’hommes trans se démocratisent dans certains États américains. C’est le cas dans une clinique de Boston où la prise en charge des hommes enceints a doublé en une décennie.

Des freins administratifs qui marginalisent

En France, c’est Ali Aguado qui a ouvert la voie. En 2019, celui qui est né femme donne naissance à une petite fille. Cependant, il se heurte à un iceberg administratif qui en dit long sur notre perception « linéaire » de la parentalité.

Il dépeignait lui-même un « no man’s land législatif ». Même si depuis 2016 les personnes trans peuvent changer la mention de leur sexe à l’état civil sans avoir subi une chirurgie de réattribution ou de traitement stérilisant, la loi semble leur mettre des bâtons dans les roues.

Au tribunal, Ali se retrouve face à deux choix, totalement inenvisageables. Première suggestion : Ali pourra être reconnu seulement comme la mère de sa fille. Deuxième option : Ali accouche sous X pour reconnaître l’enfant en tant que père et son conjoint l’adopte par la suite. Écarté du système juridique, le sort des parents trans repose sur le bon vouloir des notaires, de l’état civil ou des tribunaux.

Pour un encadrement optimal, la Procréation médicalement assistée (PMA) s’érige comme une solution de taille. Cependant, le 8 juillet 2022, le Conseil constitutionnel a tranché, en excluant les personnes transgenres de l’accès à la PMA. Un pas en arrière qui raye un peu plus les hommes enceints du débat public.

Quand le patriarcat et les vieilles croyances s’en mêlent

Les femmes de naissance voulant devenir homme n’opèrent pas toutes un changement de sexe radical. Prise d’hormones faisant décupler la pilosité ou passage sous le bistouri ne font pas office de normes. Aucun principe ne force les personnes transgenres à coller physiquement avec leur identité de genre. Un homme trans peut donc garder son utérus aussi longtemps qu’il le souhaite. Il est alors totalement opérationnel pour féconder un.e enfant.

Et c’est justement ce qui enflamme les incompréhensions. Héritage légué par la religion et le patriarcat… la grossesse serait le propre des femmes cisgenres. Autoriser une autre catégorie de personne à y accéder serait donc « contre-nature ». Et cette idée s’accroche fermement à notre société.

En février dernier, un homme enceint rejoignait le banc des émojis Apple, faisant galoper les critiques réactionnaires. Ce petit bonhomme, perdu dans une foule de plus de 3000 autres émojis n’est pas passé inaperçu. L’essayiste Paul Melun, à l’origine du livre « Enfants de la déconstruction », fustigeait cette tendance à « gommer le rapport hommes-femmes ». Ce discours réducteur fait directement écho à une transphobie « banalisée ».

Une transphobie déguisée

Peu importe le contexte, les jugements portés envers l’homme enceint sont l’expression maquillée d’une transphobie inquiétante. Les personnes trans, sans cesse reléguées à l’arrière-plan, pâtissent d’un manque cruel de représentation.

Si progressivement le cinéma met en lumière des personnages trans, ils sont rarement les protagonistes. Et ces brèves apparitions, bien qu’elles soient nécessaires, injectent de sombres idées dans l’esprit d’individu.e.s malveillant.e.s. Dans son dernier rapport, SOS Homophobie indiquait que les cas de transphobie étaient en augmentation sur l’année 2021. L’équation « visibilité trans » et « société à retardement » semble impossible.

Pourtant des mises en avant notables prouvent que l’on avance dans le bon sens. L’an dernier par exemple, TF1 diffusait le documentaire « Il est elle » consacré à la transition d’une jeune fille. Sur le même fil positif, le film « A good man » diffusait sur grand écran, l’histoire incroyable et mouvementée d’un homme enceint.

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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