L’alsacien Clément Guntz a couru 10 marathons en seulement 10 jours, à domicile dans une forêt de la région de Colmar. Il ne l’a pas fait pour sa gloire personnelle, ni pour décrocher une médaille à l’arrivée. Il a mobilisé ses muscles et ses forces pour lutter contre les violences conjugales, fléau rampant.
Courir pour les femmes victimes de violence
Si la plupart des sportifs se lancent dans des marathons pour battre des records d’endurance, se surpasser ou se challenger, Clément Guntz, lui, a mis ses mollets et son souffle à contribution pour une autre raison, plus honorable. Il a chaussé ses baskets et foulé le sol verdoyant de la forêt de la Waldeslust, non pas pour remporter un lot ou satisfaire son égo, mais pour soutenir une cause qui lui tient à cœur.
Le coureur de 50 ans, qui n’en est pas à son premier défi sportif, a répété inlassablement ce parcours d’1,3 km en sous-bois. Dans ce décor digne du Hobbit, il a parcouru 420 km, sans aucun concurrent physique autour mais avec une motivation palpable. Un petit pas pour l’homme mais un grand pas pour la lutte contre les violences conjugales, son combat de prédilection.
Loin d’être un simple joggeur du dimanche en quête d’adrénaline, le cinquantenaire est un coureur chevronné qui a les jambes bien rodées. Il n’a pas accompli cet exploit sportif pour atteindre la première place du podium, ni pour finir dans les gros titres de la presse régionale. Il l’a fait au nom de l’association Les foulées du sourire qui lutte contre les violences faites aux femmes en milieu rural.
Elle a vu le jour après le décès tragique d’Elisabeth Knobloch-Jung, tuée sous les mains de son ex-conjoint en juin 2014. Ce féminicide, qui a secoué le village paisible de Wittisheim n’est pas resté au rang des faits divers, il est devenu le point de départ d’une mobilisation collective. Depuis sa création, l’association aide les femmes victimes de violence dans les campagnes, sorte de no man’s land où elles sont prisonnières de leur bourreau et coupées du monde.
Voir cette publication sur Instagram
Un acte de soutien pas toujours compris
Si de nombreuses personnes ont salué le geste de Clément, d’autres n’ont pas hésité à lui faire des croche-pieds verbaux et à lui mettre des bâtons dans les roues ou plutôt dans les mollets. Ses détracteurs estiment que ce ne sont pas des gouttes de sueur et quelques courbatures qui vont faire avancer la cause ou changer le sort de ces femmes, dont le foyer s’est mué en bagne.
“Encore un qui veut attirer l’attention”. “Il ferait mieux de donner de l’argent”. “Son marathon n’a aucun intérêt, à part faire gonfler ses chevilles”. “Il cherche juste à avoir son quart d’heure de gloire”. Ces commentaires, qui émanent en partie d’un public masculin, en disent long sur les mentalités. Dans l’imaginaire collectif, un homme n’est pas légitime de s’engager dans cette cause. Pourtant, les hommes sont des alliés précieux. Clément ne veut pas être spectateur de ce combat, ni le suivre d’un regard détaché, il veut en être acteur et se tenir dans les starting blocks.
Alors que d’autres s’engagent financièrement, lui le fait avec d’autres armes, les lacets fixés aux pieds et le talon au plancher. Il n’a pas les yeux rivés sur le chrono mais sur ce sombre décompte, qui affiche déjà 81 victimes en milieu d’année 2025. À travers son initiative, il donne un bon coup de projecteur sur l’association, qui bataille pour survivre et qui a déjà été forcée de licencier une employée, faute de subventions.
Voir cette publication sur Instagram
Chaque pas compte dans cette lutte
Les violences conjugales sont épidémiques et gangrènent tout le pays. Des grandes métropoles aux bourgs reculés, elles font rage partout. En milieu rural, les femmes sont d’autant plus vulnérables, sans porte de sortie, presque gardées en captivité à l’abri des regards.
On dit que tout se sait dans les villages et que les nouvelles se propagent à vitesse éclair. Pourtant, cette brutalité ne fuite jamais hors des murs du foyer et reste soigneusement camouflée. Les victimes de violence ne profitent pas de ce bouche à oreille et ne figurent pas dans les potins du marché. Elles subissent une double peine : la violence couplée à l’isolement.
D’ailleurs, les chiffres jettent un froid dans le dos. Un-tiers de la population vit en milieu rural mais 47% des féminicides y sont perpétrés. Les voisins se trouvent parfois à des kilomètres à la ronde et les femmes occupent des emplois précaires, qui les sanglent d’office à la bourse de monsieur.
La démarche de Clément est donc tout sauf superficielle. Puisque finalement cette lutte est un perpétuel contre-la-montre. Cet élan de solidarité porté au masculin fait d’autant plus sens sur ce terrain où les hommes osent rarement prendre leur place. Il n y a pas de trophées en jeu mais des vies.