« Travel porn » : une tendance voyage qui tue la magie de l’instant T

Des plages de sable fin qui s’étendent à perte de vue, une eau turquoise qui se dessine à l’horizon, le bruit des vagues en toile de fond… ce cadre idyllique chatouille notre esprit voyageur à foison. Mais depuis un an, la pandémie se dresse comme un barrage devant notre soif d’évasion. Pendant ce temps, sur les réseaux sociaux, baroudeur·euse·s avisé·e·s et influenceur·euse·s nous font rêver à travers leurs superbes clichés. Ces photos lustrées à coup de retouches se côtoient en masse sur la toile. Le temps où l’on capturait ces odyssées avec un appareil jetable a bien changé.

Aujourd’hui, les jeunes partent en quête du meilleur spot pour parfaire leur identité virtuelle. La ruée vers les likes prime. Cette tendance qui n’est qu’un tissu d’artifices porte un nom : le « travel porn ». Un phénomène de mode qui grignote dangereusement les richesses de notre chère planète. Décryptage.

Les réseaux sociaux, des outils pour se démarquer

Depuis quelques années, Instagram fait office de vitrine identitaire 2.0. Pour glaner des pouces bleus ou des cœurs rouges, les internautes s’affichent sous leur meilleur jour. Routine tirée à quatre épingles, corps arborés de muscles reluisants, paysages à couper le souffle… derrière cette couverture divine, les profils dégoulinent de superficialité. Cette guerre d’images qui se trame en permanence peut se révéler lourde de conséquences.

Le smartphone presque greffé dans la main, les jeunes délaissent le monde réel et se livrent au marathon de la perfection. La fameuse mode du « food porn » le confirme. Ce terme, démocratisé en 1984 par la journaliste Rosaline Coward, fait référence au plaisir procuré par des photos de nourritures. Remis à la sauce actuelle, les plats alléchants à l’esthétique impeccable se chevauchent désormais sur la toile. Le but ? Faire saliver d’envie les autres utilisateur·trice·s. Dans le même sillage que ces partages outranciers, le travel porn, lui, s’applique au vaste monde touristique.

Le travel porn : quand voyage rime avec guerre d’images

Installé·e dans une balançoire fleurie sur les hauteurs de Bali, assis·e à flanc de falaise sur les roches suédoises escarpées, en immersion avec des dauphins dans les lagons bleus au Bahamas… ces mises en scène soignées nous plongent dans un périple doré et écarquillent nos pupilles. L’aventure de ces voyageur·euse·s modernes est dictée par les écrans.

L’expérience humaine et la découverte de la culture locale passent au second plan. Seul l’appât du buzz compte. Entre exubérance et narcissisme débordant, ce nouveau visage du tourisme est assez surprenant. Pourtant, sur Instagram, le hashtag #travelporn regroupe plus de 2 millions de publications de ce type.

Un brin de dépaysement

Cet univers pixelisé s’apparente à une caverne d’Ali-Baba foisonnante. En un revers de clics, on embarque pour des lieux somptueux. En temps de pandémie, ces posts dépaysants ont servi d’échappatoire réconfortant. À défaut de ne pas pouvoir passer les frontières, on use de toutes les parades pour sortir de cette routine au goût amer.

Quand Angelina sirote son cocktail dans sa piscine avec une vue panoramique sur l’île de Santorin en Grèce, on est comme ensorcelé·e. Happé·e par ces Eldorado 2.0, on enchaîne les orgasmes visuels et on laisse nos fantasmes en liberté. Malgré son côté surfait, le travel porn permet finalement de prendre une bouffée d’air frais.

Instagram, lieu idéal pour dénicher les derniers spots en vogue

Instagram est devenu un guide hors pair pour dénicher des vacances singulières. Les influenceur·euse·s jouent les précurseur·euse·s et annoncent la couleur. D’après une étude menée par Booking.com, 54 % des voyageur·euse·s de la génération Z puisent leur inspiration sur les réseaux sociaux. Si, ces coups de publicité peuvent relancer l’économie de certaines contrées, ils dopent aussi le tourisme de masse. Armé·e de leur perche à selfie, ou de leur appareil photo dernier cri, ces explorateur·trice·s d’un nouveau genre cherchent avant tout l’approbation d’autrui. Alors, il·elle·s prennent d’assaut les points de vue qu’il·elle·s ont vu en photos.

Le compte @insta_repeat illustre avec brio cet engouement phénoménal. Il met bout à bout des images issues de différents profils. Toutes se ressemblent comme deux gouttes d’eau : même pose, même angle et même paysage en arrière-plan. À trop vouloir se forger une renommée, on en perd sa personnalité. Résultat : les instagrammeur·euse·s en herbe s’agglutinent au même endroit et laissent une empreinte néfaste sur l’environnement.

Une course aux likes qui accable Mère Nature

En 2018, la plage thaïlandaise Koh Phi Phi, lieu phare du film « La Plage » avec Leonardo DiCaprio, a été forcée de fermer son accès au public. À l’époque, cette petite baie surmontée de rochers verdoyants accueillait près de 5000 visiteurs par jour. Une aubaine pour le porte-monnaie de la ville mais un désastre pour les récifs coralliens. Entre les moteurs polluants des bateaux, les déchets plastiques et les va-et-vient constants, les espaces naturels étaient dans un état critique. Ce temps de répit était nécessaire pour résorber ces terres.

Le constat est également sans appel sur les sommets du Mont Everest. Ce toit glacial jadis réservé aux adeptes de trek est devenu la plus haute poubelle du monde. Selon une étude publiée dans la revue OneEarth, des traces de micro plastiques sont omniprésentes. La cause ? L’afflux permanent d’alpinistes plus ou moins chevronné·e·s.

Même son de cloche du côté européen. Sur les îles Canaries, une curiosité naturelle attire les foules. L’île de Fuerteventura abrite des roches volcaniques noires et des coraux en forme de « pop-corn ». Une découverte insolite qui colle à merveille au standard du travel porn. Les visiteurs s’emparent de ces coraux fragiles et n’hésitent pas à les lancer en l’air pour que leur cliché soit encore plus impressionnant. Un comportement irresponsable qui a causé des dommages importants. D’après des propos recueillis par M6, près de 120 kg de ces coraux ont disparu des radars depuis 2018.

Poser avec des espèces sauvages, une pratique qui fait des ravages

En ce moment, une nouvelle attraction alarmante attire les convoitises. S’afficher en compagnie d’un bébé léopard ou d’un girafon n’a jamais été autant en vogue. Cette pratique que certains jugent « mignonne » s’inscrit surtout dans la case « maltraitance animale ». Souvent, ces animaux sauvages sont en effet enfermés dans des cages vétustes et battus à coup de triques. L’ONG World Animal Protection tirait la sonnette d’alarme. Dans un rapport, elle confirme que le nombre de selfies de ce genre publié sur Instagram a augmenté de 292 % en l’espace de trois ans. Un fléau à ciel ouvert largement encouragé par les figures clefs de la télé-réalité.

Derrière sa façade étincelante, le travel porn cache ainsi des vices insoupçonnés. C’est une véritable torture pour notre Terre suffocante. Cette démonstration de force virtuelle est un coup de poignard pour Mère Nature. Tels des moutons de Panurge, ces influenceur·euse·s suivent les vagues de tendance sans broncher. Parfois, il·elle·s se mettent en danger. Les selfies font d’ailleurs cinq fois plus de morts que les attaques de requins.

Heureusement, pour prendre le contrepied de cette sombre mode, de nouvelles alternatives fleurissent. Entre les road trip déconnectés et les périples 100 % verts, vous avez le choix. Semez la graine de la bienveillance, ne tombez pas dans le piège du « m’as-tu vu ».

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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