Vous connaissez certainement le violentomètre, cet outil d’utilité publique qui mesure la violence au sein du couple et qui permet de mieux évaluer ce qui est sain et ce qui relève du danger. Il a désormais une variante inclusive pour que les personnes en situation de handicap intellectuel, souvent oubliées dans ce combat, puissent identifier les violences quand il y en a.
Les femmes en situation de handicap, surexposées aux violences
Les violences conjugales gangrènent la société. C’est un fléau qui fait rage au-delà des frontières et qui touche des femmes de tout âge et de tout rang social. En France en 2023, les services de sécurité ont enregistré 271 000 victimes de violences commises par leur partenaire ou ex-partenaire. Pour ces femmes, le foyer, supposé incarner la sécurité, devient alors une prison, le lieu de toutes les souffrances. Les bourreaux agissent à l’abri des regards, entre les murs feutrés de la maison et choisissent des proies faciles, moins armées pour se défendre. En ce sens, les femmes qui vivent avec un handicap intellectuel sont encore plus vulnérables.
Selon une étude menée par l’Ifop, qui a interrogé environ 4000 adultes en France, dont la moitié en situation de handicap, près d’une femme handicapée sur quatre indique ainsi avoir subi des violences conjugales. Un chiffre qui dépasse largement celui mesuré auprès de l’ensemble des femmes. Avec des capacités mentales limitées, des difficultés de langage et un retard de développement, elles sont souvent démunies et encore plus isolées. Ces femmes, qui peinent à poser des mots sur ce qu’elles subissent et qui n’ont pas toujours conscience de la gravité de la situation, sont comme piégées. Et aussi écoeurant soit-il, ces monstres déguisés en « monsieur tout le monde » profitent de leur faiblesse comme s’ils se sentaient immunisés.
Le Centre Hubertine Auclert le rappelle très bien : « la dépendance induite par une situation de handicap peut amplifier ces violences ou être à l’origine d’actes spécifiques de violences ». Pourtant, ces femmes-là sont dans un angle mort, marginalisées de la lutte et éclipsées des mesures mises en place. Une terrible lacune qu’Emilie et Morgane, éducatrice EVRAS au sein d’un service résidentiel pour adultes en situation de handicap intellectuel, l’Heureux Abri essaient de combler.
Un violentomètre plus lisible et imagé qui complète l’ancien
Vous avez certainement déjà eu un violentomètre sous les yeux ou dans les mains. Cet outil qui se présente comme une règle colorée mesure le niveau de violence dans le couple. Mis autour des emballages de pain à la boulangerie et distribué dans les établissements scolaires, le violentomètre délimite ce qui est tolérable de ce qui ne l’est pas. À chaque graduation se trouve un comportement allant du plus sain au plus insoutenable. Le violentomètre permet d’auto-évaluer sa relation et de déceler une potentielle menace avant qu’il ne soit trop tard.
Cependant, cet outil créé à l’initiative de l’Observatoires des violences faites aux femmes de Seine-Saint-Denis et de Paris, peut être difficile à lire et à interpréter pour les personnes en situation de handicap intellectuel, dont des femmes. Toutes ces données condensées sur la même ligne et inscrites en petit caractère ne sont pas toujours à leur portée. C’est pourquoi Emilie et Morgane ont imaginé une version facile à lire et à comprendre (FALC) en partenariat avec le centre Handicaps et Sexualités de Namur.
Ce n’est pas une version améliorée, mais une alternative plus accessible aux personnes qui comprennent plus les images que les mots. Dans le fond, ce violentomètre inclusif reste fidèle à l’original mais dans la forme, il est moins rudimentaire et plus évocateur. Chaque comportement s’accompagne d’un pictogramme explicite représentant la scène dépeinte à l’écrit. Ce violentomètre, qui manquait à la société, utilise aussi un vocabulaire adapté et des mots basiques. Ainsi le « Il rabaisse tes opinions et tes projets » devient « Il se moque de tes idées et tes projets ». Il n’y a qu’un seul sens de lecture et la police d’écriture ne laisse aucune place à la confusion. Sur ce violentomètre, tout est fait pour rendre l’information « digeste ».
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Une variante plus inclusive pour n’oublier personne
Ce violentomètre, conçu et approuvé par des personnes concernées, mérite de s’exposer au-delà des pixels d’Instagram. Dans les lieux médicaux, dans les salles de classe et plus largement dans l’espace public, il doit gagner en visibilité. La sécurité des femmes en situation de handicap intellectuel en dépend. Avec ce violentomètre, Emilie et Morgane tendent une main précieuse aux personnes qui ont une vision floue du mot « victime » et qui peinent à distinguer le bien du mal.
Comme le précisent les deux femmes, ce violentomètre revisité s’adresse également à une frange plus large de la population : jeunes ados, personnes étrangères qui découvrent le français, personnes dys… L’outils, qui se décline en format poche, remet les minorités au centre des priorités.
Ce violentomètre est plus que nécessaire : il est vital. Puisque pour sortir des violences, il faut déjà savoir les reconnaître. Et c’est un exercice encore plus délicat pour les personnes en situation de handicap intellectuel.