Il fallait s’y attendre : le retour de Julia Ducournau au Festival de Cannes ne passerait pas inaperçu. Quatre ans après « Titane », Palme d’or en 2021, la réalisatrice française a présenté le 19 mai « Alpha », son nouveau long-métrage en compétition officielle. Un film intense, organique, qui a provoqué à la fois une standing ovation record… et plusieurs malaises dans la salle.
Une œuvre fidèle à la signature Ducournau
Avec « Alpha », Julia Ducournau continue d’explorer les confins du corps, du genre, et de la transformation. Moins frontal que « Grave », moins provocateur que « Titane », « Alpha » s’inscrit pourtant dans la même lignée : celle d’un cinéma sensoriel, qui ne craint ni l’inconfort ni la sidération. En apparence, le film se présente comme une allégorie puissante du VIH, mais son propos dépasse le seul cadre médical : il s’agit d’une réflexion sur la mémoire cellulaire, l’instinct de survie, et la douleur comme vecteur de mutation.
Le film suit un personnage traversant une transformation à la fois physique et émotionnelle, dans un monde aux contours incertains. La mise en scène, viscérale et tendue, s’accompagne d’un univers sonore oppressant et d’une photographie presque clinique. Ici, tout est pensé pour faire réagir les corps autant que les esprits.
Des malaises qui témoignent de la puissance du film
C’est justement ce parti pris qui a mené à un événement rarissime : au bout d’une heure de projection, plusieurs spectateurs ont été pris de malaises. Des appels à l’aide, des lumières brandies, l’intervention d’un médecin, puis l’évacuation d’un homme sur une civière ont brièvement interrompu la séance. Présente dans la salle, j’ai vu plusieurs spectateurs crier pour demander l’arrêt de la projection, tant l’ambiance était devenue pesante et le malaise palpable. Le lendemain, des journalistes présents évoquaient une ambiance « bizarre », voire anxiogène.
Ces réactions physiques, aussi extrêmes soient-elles, ne sont pas sans rappeler ce que certaines œuvres puissantes peuvent produire : le corps réagit avant l’intellect. Dans le cas d’Alpha, l’effet semble voulu. Julia Ducournau l’a déjà prouvé : pour elle, le cinéma est une expérience corporelle, qui doit ébranler les certitudes autant que les estomacs.
Someone just collapsed or had a stroke at the Alpha premiere with the crowd asking to stop the film. The ambulance is here #Cannes2025
— Zak 🌹 (@ZakRed567) May 19, 2025
Un film qui divise, comme tout vrai choc esthétique
À la sortie de la projection, les applaudissements ont duré plus de 11 minutes. Une ovation qui contraste avec les malaises, mais qui révèle aussi toute l’ambivalence du film. Car « Alpha » divise. Certains parlent de chef-d’œuvre, d’autres de cauchemar sensoriel.
Ce n’est pas nouveau dans l’histoire du cinéma cannois. En 2024 déjà, « The Substance » de Coralie Fargeat avait suscité l’inconfort avec ses scènes frontales sur le corps féminin et la violence patriarcale. Là encore, les œuvres féminines les plus audacieuses sont souvent celles qui dérangent le plus.
L’expérience sensorielle comme choix artistique
Ce que Ducournau semble défendre ici, ce n’est pas tant la provocation gratuite que l’expérience limite. Un cinéma qui engage, dérange, transforme. Un cinéma qui ne se contente pas d’émouvoir, mais qui exige qu’on le ressente dans sa chair. « Alpha » ne cherche pas à plaire : il s’impose, s’infiltre, marque.
Ce choix est courageux à une époque où la surenchère visuelle côtoie souvent la vacuité du fond. Ici, le malaise est un langage, une façon de communiquer l’urgence, la souffrance, la mutation.
« Alpha » exige ainsi de ses spectateurs une certaine disponibilité physique et émotionnelle. Pour les personnes qui acceptent cette plongée brutale dans l’organique, il offre une expérience rare : celle d’un cinéma qui repousse les limites de la représentation, qui ose l’inconfort pour mieux faire émerger la vérité. Reste à voir si le jury cannois récompensera cette audace. Dans la salle, une chose est sûre : personne n’est ressorti indemne.