La dernière campagne de la marque American Eagle mettant en scène l’actrice Sydney Sweeney a enflammé les réseaux sociaux. À travers le slogan « Sydney Sweeney a de superbes jeans », la marque visait « un hommage stylisé aux classiques du denim ». Sauf que le message n’a pas été perçu de la même manière par tout le monde. Accusée de relancer des stéréotypes sexistes, voire de flirter avec des codes racistes, la campagne publicitaire soulève un débat vif sur les frontières entre provocation marketing, représentation genrée, et racisme culturel latent.
Une mise en scène rétro et musclée
Dans le clip le plus commenté de ces derniers jours, Sydney Sweeney, révélée notamment par les séries « Euphoria » et « The White Lotus », répare une voiture vintage – une Mustang GT350 – vêtue d’un débardeur ajusté et d’un jean moulant de la marque. Le tout dans une ambiance à mi-chemin entre esthétique pin-up modernisée et hommage aux codes de la mécanique automobile masculine.
On la voit ensuite s’essuyer les mains sur son jean avant de monter dans le véhicule. Le slogan, lui, fait référence à la coupe du jean et, selon la marque, à la « confiance que chaque personne peut avoir en le portant ».
Ce qui aurait pu n’être qu’une campagne un peu rétro et sexy a rapidement suscité l’ire de plusieurs internautes. Certaines personnes y ont vu un message « anti-woke », voire suprémaciste. D’autres dénoncent une mise en scène réduisant une femme à son apparence, dans une posture qui flirte avec les clichés les plus tenaces du marketing des années 1990.
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Une lecture genrée et raciale du message
La formulation « superbes jeans » a été accusée de jouer sur un double sens : les jeans (pantalons) et les gènes (génétique). Un jeu de mots potentiellement problématique selon les critiques, qui rappellent qu’en anglais, la prononciation est identique (jeans / genes). Sur le réseau X (ex-Twitter), certaines voix ont vu dans ce choix une allusion à la « pureté » supposée des origines de l’actrice – jeune, blanche, blonde, mince – souvent érigée en fantasme esthétique occidental.
La critique se porte aussi sur la posture de l’actrice, sa sexualisation et le fait que la campagne exploite encore une fois une image hypernormée de la féminité : corps mince, regard doux, sexualité suggérée mais maîtrisée, le tout dans un décor qui rappelle l’appropriation d’un univers dit masculin (la mécanique) pour le détourner à des fins esthétiques. Une approche jugée datée par certaines commentatrices, qui dénoncent une vision encore largement dominée par le male gaze.
I’ve lost count of how many Hollywood agents rejected me, saying ‘white blondes’ are the least in demand.
Sydney Sweeney is undeniably blessed with great genes.
Do you support her American Eagle ad? pic.twitter.com/YLuJjnomY9
— Angela Belcamino (@AngelaBelcamino) July 29, 2025
La réponse ferme de la marque
Face à la polémique, American Eagle a rapidement pris la parole sur son compte Instagram. Refusant de s’excuser, la marque affirme que le slogan ne fait référence qu’à des jeans, ceux portés par l’actrice, et en aucun cas à autre chose. Elle écrit : « Le slogan ‘Sydney Sweeney a de superbes jeans’ fait et fera toujours référence à des jeans. Ses jeans. Son histoire ».
Elle affirme également vouloir « continuer à célébrer la façon dont chaque personne porte son jean AE avec assurance, à sa façon », insistant sur une volonté d’inclusivité. La marque semble donc assumer son approche, misant sur une ligne éditoriale visuellement forte, quitte à bousculer.
Soutiens politiques et amplification du clivage
Fait notable : la Maison-Blanche elle-même est intervenue. Steven Cheung, directeur de la communication présidentielle, a publié un message sur X déclarant : « La cancel culture n’a plus de limites. L’idéologie libérale est tordue, débile et bouchée, c’est une des grandes raisons pour lesquelles les Américains ont voté comme ça en 2024 ».
Ce soutien inattendu, dans un langage particulièrement virulent, a renforcé l’idée que cette campagne est désormais récupérée dans un climat politique ultra polarisé, aux États-Unis comme ailleurs. Le fait que l’action en bourse d’American Eagle ait bondi de près de 10 % après la diffusion de la campagne n’est pas anodin : la provocation commerciale paie encore, surtout dans un contexte de rejet croissant du politiquement correct dans certaines sphères.
Cancel culture run amok. This warped, moronic, and dense liberal thinking is a big reason why Americans voted the way they did in 2024. They’re tired of this bullshit. pic.twitter.com/He7Ji6O3VF
— Steven Cheung (@StevenCheung47) July 29, 2025
Un miroir de nos contradictions culturelles ?
Au fond, cette campagne met en lumière une tension grandissante dans la société contemporaine : comment parler au plus grand nombre, dans une époque saturée d’images, sans heurter ? Faut-il plaire ou déranger pour vendre ? Et à quel prix ? Le cas Sydney Sweeney illustre aussi le tiraillement entre les injonctions féminines à l’émancipation et celles qui continuent de vendre une féminité normée, désirable et performative.
En choisissant une icône pop reconnue, dotée d’une image à la fois glamour et accessible, American Eagle savait qu’elle ne parlait pas dans le vide. La réception montre toutefois à quel point les grilles de lecture contemporaines sont multiples, parfois contradictoires, et profondément politisées.