Faire de la randonnée quand on est grosse : la route vers l’émancipation ?

Pour faire la paix avec leur reflet et piétiner les standards de beauté, certaines femmes publient leurs courbes sous le hashtag #bodypositive, d’autres chaussent les baskets et foulent des sentiers balisés. Sac à dos hissé sur les épaules et bâtons glissés entre les mains, ces randonneuses gravissent des sommets pour atteindre cette ultime confiance en soi. À chaque kilomètre parcouru, elles font un pas de plus vers l’acceptation. Comme un hommage à leur corps, cette marche sportive fait frémir leurs silhouettes, des cuisses à la poitrine. Outre-Atlantique, aux États-Unis, ces femmes ne font qu’un derrière le club « Fat Girls Hiking ». Ensemble, elles prennent l’itinéraire qui conduit directement vers l’amour propre et font suer les grossophobes qui ne les pensent pas « conçues » pour cette activité. Faire de la randonnée quand on est grosse est bien plus qu’une activité « détente ». C’est un acte libérateur qui permet de se délester de ses complexes.

Briser les stéréotypes : la randonnée n’a pas de taille

Dans l’imaginaire collectif, le profil type de la randonneuse est tout tracé. Elle est athlétique, galope comme une antilope, ne fait quasi jamais de pause en chemin et surtout elle n’a pas un seul centimètre de graisse sur son corps. Au regard de la société et des diktats qui lui font velcro, le sport est incompatible avec les morphologies plantureuses. Selon cette pensée archaïque, une femme qui a des formes ne fait pas de la randonnée pour son plaisir, mais dans l’optique de fondre et de laisser ses kilos derrière elle. Les équipementiers font aussi passer ce message âpre. Dans les rayons estampillés « hiking », les vêtements techniques en polaire ou parsemés de poches se limitent au L. Comme pour poser des interdits.

Or, le poids qui s’affiche sur la balance et les bourrelets qui ornent le ventre ne sont pas des indicateurs de « bonne santé ». D’ailleurs, la randonnée ne nécessite pas de certificat médical. Il existe des parcours plus ou moins tortueux, tantôt floqués de vert, tantôt de rouge. Il y a des circuits avec des dénivelés positifs et d’autres, à plat. Cette activité, qui se pratique à la force des mollets, ne se résume donc pas à une seule corpulence.

Faire de la randonnée quand on est grosse, c’est revendiquer son droit à occuper l’espace. C’est également un acte de rébellion pour protester contre des normes discriminantes et se faire une juste place sur les terrains escarpés. Faire de la randonnée quand on est grosse, c’est renouer avec la nature, mais surtout avec soi. Ce n’est pas la performance qui compte, mais le sentiment de fierté récolté au bout du sentier. Ce fameux « je l’ai fait ». La randonnée est salvatrice. Elle permet d’oxygéner les esprits, mais aussi de se sentir capable.

Faire bouger son corps pour mieux le célébrer

Les cuisses se touchent dans l’ascension, les bras ballottent de gauche à droite, les bourrelets flottent sous le t-shirt, mais le corps avance doucement vers le point culminant de la confiance. Le simple fait de marcher, de sentir ses muscles se contracter, son souffle se réguler, et ses pieds s’ancrer dans le sol offrent une forme de reconnexion profonde avec soi-même. Faire de la randonnée quand on est grosse, c’est prendre conscience des pouvoirs de son corps. C’est une invitation à écouter son corps, à le comprendre dans sa singularité, et à apprécier son potentiel au-delà de son apparence.

La cellulite qui serpente vos cuisses, les poignées d’amour et les rondeurs qui habillent votre silhouette deviennent soudainement ridicules par rapport à la force qui se cache dessous. Contrairement aux exercices de fitness ou aux disciplines qui impliquent un dépassement de soi, la randonnée est adaptable. Vous allez à votre rythme, sans vous brusquer. Si vous voulez, vous pouvez vous arrêter toutes les dix minutes pour récupérer. Vous avez le droit de vous plaindre, de vous extasier et de demander « c’est quand l’arrivée ? ». Ce qui importe, c’est qu’en regagnant le parking, vous exprimiez un respect inconditionnel envers votre corps.

Ce corps, que vous avez regretté, caché, malmené et parfois même insulté, devient votre compagnon de route, votre soutien numéro un, votre unique instrument d’effort. Vous ne le voyez plus comme un ennemi, mais comme un partenaire fidèle. Ces chemins de randonnée que vous empruntez d’abord avec une certaine retenue vous transforment. Ils ne vous changent pas de l’extérieur, mais de l’intérieur. Faire de la randonnée quand on est grosse est une thérapie à part entière.

« Fat Girls Hiking », la communauté pour oser s’y mettre

En France, de plus en plus de femmes marchent à l’unisson, dans un bel élan de sororité. Les randonnées féministes sont d’ailleurs dans l’air du temps. Elles se distinguent par leurs circuits symboliques qui suivent les traces des sorcières ou honorent les oubliées de l’histoire. En revanche, il n’y a pas encore de collectifs destinés aux femmes grosses qui souhaitent explorer les hauteurs sans peur ni rougeur.

Aux États-Unis, il y a la communauté grandissante des « fat girls hiking », créée à l’initiative de Summer Michaud-Skog. Familière des balades énergiques, elle n’a pas toujours été bien accueillie lors de ses pérégrinations. Les randonneur.se.s, qui ont généralement le « bonjour » facile, lui jetaient des regards médisants sur leur passage, comme pour dire « qu’est-ce que tu fais là ? ». Summer a alors lancé cette brillante initiative pour faire le trait d’union entre les femmes grosses désireuses de battre la terre.

« Les personnes grosses marchent en plein air, mais nous ne les voyons jamais. Je pense qu’il est important que cette représentativité existe », déclarait-elle au média Teen Vogue

Sur son compte Instagram, qui fédère près de 45 000 abonné.e.s, elle partage des vidéos inspirantes mettant en scène ses « adhérentes ». Sur les sentiers enneigés du Minnesota ou perchées au-dessus des canyons, ces femmes devenues de « bonnes copines » recouvrent la légitimité de marcher.  Les « fat girls hiking », prolongés en hashtag, prouve qu’à plusieurs, on peut déplacer des montagnes et faire bouger les lignes.


Faire de la randonnée quand on est grosse est une expérience enrichissante qui vaut toutes les affirmations positives du monde. Plus qu’une simple expédition, c’est une croisade contre les injonctions.

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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