Les tatouages s’impriment sur de nombreuses peaux et comblent le vide d’un poignet, d’une cheville ou d’une nuque. Ils se dessinent aussi sur des chaires en reliefs, dans les plis généreux d’un bras ou les alvéoles d’une cuisse. Pourtant, une tatoueuse tire un triste constat entre les murs de son salon : ses encres ne sont pas appréciées à leur juste valeur sur les corps pulpeux.
Le cri du coeur d’une tatoueuse
Elle n’exerce pas son art sur toile mais sur des corps tantôt lisses, tantôt rugueux. Elle s’exprime non pas à travers un pinceau mais une aiguille teintée. Celle qui se fait appeler “tattoo konpri”, grave des œuvres d’art sur une matière mouvante : la peau humaine. Immunisée contre le syndrome de la page blanche, cette artiste aux doigts de fée est réputée pour son style piqué d’humour. Elle se distingue aussi par sa patte candide.
Des fantômes expressifs inscrits sur le biceps, un épouvantail à la Miyazaki planté à tout jamais dans le mollet ou encore une femme-champignon aux traits simplifiés couchée sur l’avant-bras. Emma, qui pratique son art en périphérie d’Annemasse, s’adonne à toutes les fantaisies. Et sa créativité ne se cantonne pas à des surfaces planes, des ventre plats, des dos gainés et des jambes à la Adriana Karembeu. Cette orfèvre cutanée garnit aussi des peaux d’orange, des silhouettes briochées et des mains potelées. Mais sur ces peaux texturées, ses tatouages sont moins bien accueillis.
Dans une vidéo un peu échaudée, la tatoueuse fait part de son agacement. Elle qui se sert d’Instagram comme d’une vitrine, publie ses créations “toute fraîches”. Elle a ainsi remarqué que les tatouages réalisés sur des corps charnus n’attiraient pas aux clics, ni aux éloges. “Est-ce que ma communauté serait grossophobe ?” s’interroge-t-elle. Les internautes, eux, lui suggèrent que c’est peut-être un coup de l’algorithme, friand des corps normés.
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Tous les corps peuvent être décorés
Cette tatoueuse qui se dépeint comme une “créatrice de swag” envoie un message précieux : les tatouages vont à tout le monde. Qu’ils soient imposants ou microscopiques, symboliques ou anecdotiques, minimalistes ou riches en détails, ils habillent joliment le corps. Ils ne sont pas moins beaux sur des courbes voluptueuses ou ondoyantes.
Au contraire, les tatouages qui imprègnent les corps gros semblent s’animer dans chaque mouvement. “Ma mère s’est fait tatouer une méduse sur la cuisse et je lui ai demandé « pourquoi ce tatoo et pourquoi la » elle m’a dit « parce que j’aime bien les méduses et qu’avec mon gras dès que je bouge j’ai l’impression qu’elle est vivante »” s’amuse une internaute. “Plus on est gros, plus il y a de places pour les tattoo ! C’est tout bénef !” relativise un autre. “On s’en fout du corps, c’est le tatouage qui devrait nous intéresser” suggère un commentaire.
Face à la Joconde ou devant la Nuit Étoilée, ce n’est pas le cadre en bois ou doré qui interpelle en premier. Mais bien ce qu’il contient. Ça devrait être pareil lorsque la toile de fond a des bras et des jambes.
Le tatouage comme acte de célébration
Pour certaines personnes, le tatouage est simplement voué à meubler la chair mais pour d’autres il prend presque une dimension thérapeutique. Il y a d’ailleurs de nombreuses femmes rescapées du cancer du sein qui décident d’orner leurs cicatrices et de faire de la poésie autour. Il y en a aussi qui réclament des fleurs sur leur cellulite ou des papillons sur leurs poignées d’amour comme pour adoucir leur regard face au miroir.
Au-delà de son rôle esthétique, le tatouage est aussi un beau vernis sur la confiance, parfois bien entachée. Il déteint sur l’estime et imprègne tous les pores de l’égo. Comme des enluminures sur un livre, les tatouages révèlent le beau là où on ne voit que des défauts.
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Sur les corps gros, le tatouage se tord, ondule, se remue mais il gomme surtout des cicatrices qui échappent souvent aux yeux. Plus qu’un parti-pris badass, le tatouage est avant tout une ode à soi.