Effet Lucifer : quel est ce trouble qui nous pousse à parfois être sadique ?

Vous êtes-vous déjà demandé.e dans quelle mesure le pire pouvait naître du meilleur ? C’est la question à laquelle a essayé de répondre le docteur Zimbardo au moyen d’une expérience sociale qu’il a menée en 1971. Il concluait qu’une personne dite « normale », gentille et intégrée est capable de commettre des actes atroces dans certaines circonstances. C’est ce qu’il a intitulé l’effet Lucifer.

L’effet Lucifer alors théorisé par Philip Zimbardo se caractérise par « la tendance d’un.e individu.e à faire preuve d’une attitude sadique, cruelle et de profiter de sa domination vis-à-vis d’un.e autre à partir du moment où son statut hiérarchique est institutionnalisé et accepté socialement ». L’expérience qu’il a menée a mis en évidence des comportements très inattendus.

L’expérience de Zimbardo, un protocole précis

En août 1971, le professeur de psychologie Philip Zimbardo engage une expérience à l’Université de Stanford en Californie. Il veut vérifier l’hypothèse selon laquelle les gardien.ne.s de prison et les prisonnier.ère.s adoptent spontanément un comportement menant aux dégradations des conditions de détention. L’expérience consistait à enfermer 24 étudiant.e.s dans une prison fictive. La moitié déguisée en gardien.ne.s, l’autre en prisonnier.ère.s.

Les gardes se sont vu.e.s muni.e.s de matraque en bois, d’un uniforme et de lunettes de soleil réfléchissantes pour éviter de croiser le regard des prisonnier.ère.s. À l’inverse des détenu.e.s, iels devaient travailler en rotation et rentrer chez elleux à la fin du service. Enfin, Zimbardo ne leur donna aucune consigne formelle, sinon de ne jamais avoir recours à la violence physique. L’objectif des gardes était d’assurer le bon fonctionnement de la prison tout en favorisant la désorientation, la dépersonnalisation et la désindividualisation.

Les prisonnier.ère.s quant à elleux devaient porter une longue blouse, sans sous-vêtements. Iels portaient aussi des tongs en caoutchouc pour les forcer à adopter des postures inhabituelles et à éprouver une sensation d’inconfort qui favorise la désorientation. Iels n’étaient appelé.e.s que par des numéros et non par leur nom. Chacun.e avait son numéro inscrit sur son uniforme et iels devaient porter un bas nylon sur le haut de la tête pour donner l’effet d’un crâne rasé. Enfin, les détenu.e.s portaient une chaîne aux chevilles, renforçant le sentiment permanent d’emprisonnement et d’oppression.

Le déroulement d’une expérience singulière

Le premier jour s’est avéré plutôt calme. Mais dès le second, une émeute a éclaté.

La première rébellion

Les gardes se sont lié.e.s pour casser la révolte, allant jusqu’à se porter volontaires pour des heures supplémentaires. Dans ce contre-mouvement iels n’ont pas hésité à attaquer les prisonnier.ère.s physiquement. Suite à cet événement, les gardes ont divisé les prisonnier.ère.s pour les monter les un.e.s contre les autres.

Il s’agissait de créer une « bonne » et une « mauvaise » cellule. Cela devait laisser penser aux prisonnier.ère.s qu’il y avait des « informateur.rice.s » dans leurs rangs. Plus aucune rébellion n’eut lieu par la suite.

Les débuts de l’abus

Plus les jours passaient, plus les gardien.ne.s devenaient agressif.ve.s, voire sadiques. Iels ne manquaient pas de créativité pour pousser à bout les détenu.e.s en allant jusqu’à imposer des punitions physiques. La prison prit des airs insalubres et inhospitaliers. L’accès à la salle de bain devint un privilège souvent refusé. Certain.e.s prisonnier.ère.s furent contraint.e.s de nettoyer les toilettes à mains nues.

Les mauvaises cellules étaient dépourvues de matelas obligeant leurs occupant.e.s à dormir nu.e.s au sol. La privation de nourriture était une punition courante. Pire encore, les prisonnier.ère.s ont enduré une nudité forcée et des actes d’humiliation sexuelle.

Les pires comportements se déclaraient la nuit alors que les gardes pensaient que les caméras étaient éteintes et que l’équipe de recherche ne pouvait pas les voir. Les détenu.e.s ont déclaré qu’environ un tiers des gardes présentaient de vraies tendances sadiques. C’est alors que la théorie de l’effet Lucifer a commencé à se dessiner réellement.

Des conséquences graves pour les prisonnier.ère.s

Le temps avançant, les détenu.e.s ont commencé à présenter des symptômes de dérangements émotionnels aigus (pleurs incontrôlables, pensées désordonnées, symptômes physiques). Deux d’entre elleux souffraient de troubles si importants qu’iels ont été écarté.e.s de l’expérience et remplacés.

En arrivant plus tard dans l’expérience, l’un des remplaçants a été horrifié par les traitements infligés. Il a donc commencé une grève de la faim pour protester. Sans ménagement, il s’est vu isolé et enfermé dans un placard pendant trois heures. En supplément, les gardien.ne.s l’obligèrent à tenir les saucisses qu’il refusait de manger. Les autres prisonnier.ère.s le considéraient comme un agitateur et lorsque les gardes leur ont proposé d’abandonner leur couverture pour faire sortir leur compagnon, tou.te.s ont refusé.

La fin de l’expérience

Alors qu’elle devait durer deux semaines, l’expérience s’est vue écourtée au bout de six jours. Le professeur Zimbardo ne prit cette décision que lorsque Christina Maslach, une ancienne étudiante diplômée (et future femme) s’est épouvantée des conditions de détention. D’après lui, elle fut la seule, parmi la cinquantaine de personnes venues visiter la prison, à s’insurger et remettre la moralité de l’expérience en question. L’effet Lucifer pourrait donc aussi concerner celleux qui ne réagissent pas face à l’horreur.

Au-delà du caractère aberrant des tortures infligées, ce qui a surtout choqué, c’est l’acceptation des prisonnier.ère.s de leur sort. Alors qu’iels pouvaient refuser de continuer l’expérience à tout moment et regagner leur liberté, aucun.e n’a demandé à arrêter. Leur santé mentale était largement en danger face à ces étudiant.e.s transformé.e.s en bourreaux.

Quelles conclusions tirer ?

L’expérience de Stanford s’est terminée le 20 août 1971. Ses résultats ont servi à démontrer l’impressionnabilité et l’obéissance des gens dans certains contextes. En effet, comment expliquer que des étudiant.e.s universitaire libéraux.ales, connu.e.s pour leur altruisme, leur bon sens, et leur sociabilité, avaient pu devenir des sadiques ? La réponse du professeur est claire : l’effet Lucifer.

Selon Zimbardo, les processus psychologiques qui en découlent dépendent de différents points. On trouve d’abord la conformité au groupe. Cela signifie que sous la pression d’un certain environnement composé de plusieurs membres, nous pouvons parfois adopter des comportements hors de nos valeurs pour être accepté.e.s.

Ensuite, il y a l’obéissance à l’autorité de Stanley Milgram. C’est un phénomène commun en psychologie qui explique que dans la hiérarchie militaire ou policière, nombreux.ses sont celleux capables de commettre des actes violents s’ils sont justifiés ou ordonnés par des personnes ayant de plus hautes responsabilités.

Enfin, on trouve la déconnexion morale d’Albert Bandura. Elle part du principe que nous disposons de nos propres codes moraux et systèmes de valeurs. Cela étant dit, nous utilisons parfois des « pirouettes mentales » pour intégrer, voire accepter, des comportements totalement opposés à nos principes.

Pour toutes ces raisons expliquées par le docteur dans son livre The Lucifer Effect, le processus de déshumanisation était inévitable.

L’effet Lucifer et ses contestations

Même si cette expérience a encore un écho aujourd’hui, elle est pourtant remise en question. Nous pensons notamment à Thibault Le Texier qui a publié un livre pour en défaire les biais méthodologiques. Il confirme que l’expérimentation est précieuse, mais qu’elle a été particulièrement mal réalisée.

Le français explore toutes les limites de l’étude américaine : allant de la sur-médiatisation précédant l’expérience, à la diffusion de vidéos choisies sur le site officiel en passant par la publication du best-seller, L’Effet Lucifer.

Par ailleurs, un collectif de chercheur.se.s a récemment reproduit 100 études du siècle passé, publiées dans trois prestigieuses revues de psychologie. Seules 36 réplications ont validé les résultats initiaux. Alors, la viabilité de nombreuses conclusions scientifiques d’alors est maintenant remises en question. L’effet Lucifer en fait partie, étant même accusé d’être « le fruit d’une imposture« .

Si l’effet Lucifer nous fascine tant, c’est parce qu’il nous révèle que nous pouvons tou.te.s agir de la pire des sortes. Aussi, il nous sert à expliquer l’inexplicable, ce que notre humanité, notre empathie ne peuvent cerner. Pour cette raison, de nombreux livres savants s’en sont servis pour éclairer l’attitude des citoyen.ne.s allemand.e.s et des nazis pendant l’Holocauste.

Charlotte Vrignaud
Charlotte Vrignaud
En tant que journaliste spécialisée dans les médias et la culture, mon quotidien est une aventure passionnante au cœur de l'évolution culturelle et médiatique de notre époque. Mon rôle consiste à décrypter et à partager les tendances émergentes, les innovations et les récits captivants qui façonnent notre société.
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