Voici pourquoi il faut arrêter de dire que le cancer du sein est une bataille

Guerrière, battante, amazone, survivante… les femmes touchées par le cancer du sein sont quasiment toujours affublées d’un champ lexical guerrier et comparées à des conquérantes de la vitalité. Si de l’extérieur, cette métaphore semble relever du compliment et de la bienveillance, de l’intérieur, elle sonne plus amère. Elle induit que ces femmes, en proie à la maladie, doivent se soulever de toute leur force contre un ennemi impitoyable. Un lexique de l’affront qui renvoie à une dualité « perdante et gagnante » particulièrement réductrice. Alors que le mois d’octobre rose vient de s’ouvrir, voici pourquoi il faut arrêter de dire que le cancer du sein est une bataille. Le langage aussi a son importance dans cette traversée tumultueuse.

Une pression supplémentaire pour les femmes

Comme chaque année, le mois d’octobre rose laisse entrevoir témoignages poignants, chiffres édifiants et messages de sensibilisation déterminants. Même si ces prises de parole ont un caractère essentiel, elles sont toujours assorties d’une sémantique belliqueuse qui ne s’accorde pas vraiment avec la réalité. Ces femmes, qui ont toutes essuyé le choc du diagnostic, sont alors présentées en héroïnes cuirassées.

Elles sont encouragées à « mettre la maladie à terre » et à « pointer les armes » contre cet adversaire invisible, mais incisif. Sous ces mots, le cancer du sein s’apparente à une sorte de croisade incompatible avec l’échec ou l’abandon. Si l’idée d’assimiler le cancer du sein à une bataille part plutôt d’un bon sentiment, elle est en fait assez mal vécue par certaines des principales concernées.

Cantonner la maladie à une kyrielle d’adjectifs militaires revient à prôner une fermeté à toute épreuve, une force d’esprit continue, un contrôle émotionnel et un caractère impassible. Les femmes qui naviguent dans les eaux troubles de la maladie se sentent alors obligées de coller avec cette image chevaleresque. Elles s’interdisent de révéler des signes de faiblesse, culpabilisent d’avoir peur et s’épuisent davantage à porter le poids de cet idéal. Pire, lorsqu’elles abandonnent cette « armure » façonnée par les mots, elles se sentent défaitistes et incapables.

D’après des chercheurs, aborder le cancer du sein comme une bataille à remporter plus qu’une aventure personnelle complexifie le traitement. Au lieu de pousser leur corps à se défendre, les femmes sont alors tentées de lui déclarer une vaine animosité. En effet, ce détournement linguistique sous-entend que le principal détracteur se niche dans la poitrine et qu’il faut attaquer son propre corps pour l’éradiquer.

« Notre travail suggère que les métaphores de combat pourraient avoir un impact négatif sur la façon dont les gens pensent au cancer et que ces pensées pourraient saper leur volonté d’adopter des comportements sains », affirme David Hauser, psychologue à l’université Queen’s, au Canada

Rattacher le cancer du sein à une bataille stigmatise la défaite

D’après les chiffres de l’Inca, 87 % des personnes sont en vie 5 ans après le diagnostic d’un cancer du sein et 76 % dix ans après. Même si les chances de rémission sont de plus en plus hautes, elles ne font pas encore figure de norme. Selon l’agressivité du cancer, le moment du diagnostic et l’état de santé général des patientes, les espoirs sont parfois minces. Le cancer du sein provoque encore plus de 10 000 décès par an en France. Pourtant le champ lexical guerrier semble totalement dénigrer cette éventualité.

Transformer le cancer du sein en une bataille sépare forcément les femmes en deux clans.  Les gagnantes, celles qui ont cumulé les victoires sur les bancs de l’hôpital et les perdantes, qui n’ont pas réussi à dominer l’ennemi. Une vision très médiocre qui renforce un peu plus cette impression de ne pas « être allée au bout », d’avoir capitulé face à la difficulté. Ce langage guerrier pousse à croire que les femmes dont la maladie a pris le dessus n’ont pas été assez féroces et pugnaces dans les tourments.

Si la maladie progresse ou si les traitements ne portent pas leur fruit, les patientes peuvent donc rapidement se sentir impuissantes et responsables de leur propre sort. Du côté de celles qui portent les couleurs de la « réussite », il y a aussi cette crainte palpable d’une rechute. Attribuer de telles étiquettes revient à décrédibiliser le vrai ressenti de ces femmes, qui abordent cette expérience très différemment. La bravoure est un choix, pas le cancer du sein.

La dévalorisation de la maladie au profit du « spectaculaire »

Alors que le hashtag #fuckcancer cumule plus de 5 millions de posts sur Instagram, le cancer du sein ne cesse d’accrocher les qualificatifs du front. Les femmes sont régulièrement dépeintes en « warrior » ou en « super-women » et montrées le biceps levé. Si certaines trouvent ce statut plutôt élogieux, la majorité y voit une sombre caricature. En reléguant le cancer du sein au rang de bataille, toute la complexité de la maladie est assourdie. Le langage guerrier possède aussi une connotation « grandiose ». Il évoque des jets de bombe, de la violence, des explosions et de l’artillerie lourde.

Il crée un imaginaire grossier et volontairement fantasque autour de la maladie. Ce qui contredit un vécu beaucoup plus intime et délicat. Le cancer du sein ne se limite pas à cette représentation bourrue. Du diagnostic aux traitements en passant par la métamorphose physique, il est très loin de se réduire à une « seule » bataille. C’est une Odyssée de longue haleine où l’optimisme et l’incertitude ne font que se croiser en permanence. Au lieu de mettre les femmes sur un piédestal comme elle le prétend, cette métaphore rend la maladie impersonnelle.

Quels mots sont les plus justes pour dépeindre le cancer du sein ?

Sous leur nature parfois anodine, les mots peuvent être le combustible d’une énième douleur, plus inconsciente. « Tu vas y arriver », « tu vas réussir à vaincre la maladie », « tu es plus puissante que la maladie »… ces phrases supposées motivées les femmes atteintes de cancer du sein ne font que les retrancher sous ce fichu « masque de fer ». Ce sont des « faux compliments » à évincer du dialogue pour une incarnation plus positive et mesurée de la maladie.

Le terme « traversée » est plus approprié. Il n’induit aucune rivalité, simplement un parcours semé d’embûches et de surprises. Il fait écho à un périple tumultueux synonyme de résilience. Malgré l’agitation, la houle et la peur de chuter, les femmes se raccrochent à l’essentiel et s’enrichissent de leur revers. Dans cette lignée, les femmes sont les principales protagonistes de leur histoire. Elles ne sont plus incitées à abattre la maladie, mais à avancer avec.

Le comportement à adopter

Pour considérer le cancer du sein comme une affaire « au singulier » et non plus comme une bataille, voici d’autres pistes :

  • Soutien plutôt que pression. Plutôt que d’imposer des attentes irréalistes, nous devrions offrir un soutien inconditionnel aux patientes atteintes de cancer du sein. Elles ont besoin d’un réseau solide de soutien émotionnel.
  • Éducation et sensibilisation. Au lieu de simplifier le cancer du sein en une « bataille », nous devrions promouvoir l’éducation et la sensibilisation à la maladie. Comprendre les facteurs de risque, les options de dépistage et de traitement est essentiel pour les femmes et leur entourage.
  • La diversité des expériences. Chaque expérience du cancer du sein est unique. Certaines femmes vivent une rémission complète, d’autres doivent composer avec la maladie sur le long terme. Il est essentiel de reconnaître cette diversité pour éviter les « généralités ».

Éclipser la réalité, parfois sombre, du cancer du sein, sous le lexique « glorieux » et « tapageur » de la bataille est contre-productif. En plus de retenir les émotions de ces femmes en détresse, il comprime leur véritable identité. Pourtant, les femmes aimeraient pouvoir s’affirmer au-delà de leur étiquette de malade.  

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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