Longtemps cantonnée aux scénarios de science-fiction, la possibilité d’avoir des relations affectives – voire sexuelles – avec des machines s’impose désormais comme un sujet sérieux de réflexion. Explorez l’essor de la sextech, l’érobotisation et les enjeux éthiques d’une révolution dans la sexualité humaine.
De la fiction à la recherche scientifique
Des films comme « Her », « Blade Runner » ou encore « Lars and the Real Girl » ont depuis longtemps exploré les relations affectives entre humains et intelligences artificielles (IA). Aujourd’hui, ces récits trouvent des échos dans la réalité. En août 2023, l’Université du Québec à Montréal (UQAM) a ainsi accueilli un congrès international consacré à « L’amour et le sexe avec les robots ». Organisé autour d’une vingtaine de conférences, l’événement a réuni des chercheurs issus de disciplines variées pour débattre des implications éthiques, sociales et technologiques de cette évolution.
L’érobotisation : au-delà des sextoys
Le terme érobotisation ne désigne plus seulement les sextoys dits intelligents. Il s’étend désormais aux robots sexuels, agents conversationnels, avatars virtuels, applications de partenaires numériques et autres formes hybrides mêlant interactivité et désir. Selon les chercheurs Simon Dubé et Dave Anctil, figures majeures de ce champ d’étude, ces dispositifs s’intègrent peu à peu dans nos vies à travers des interfaces familières : smartphones, jeux vidéo, ordinateurs. Le lien érotique ne passe plus nécessairement par un corps tangible, mais par une relation simulée, conversationnelle, parfois émotionnelle.
Dans une tribune sur The Conversation, ils précisent que « ces agents peuvent développer des comportements inédits, adaptant leur langage, leurs réactions et leur apparence selon les préférences de l’utilisateur ». Ces technologies pourraient alors créer de nouvelles formes de relations érotiques : différentes de l’humain, mais néanmoins perçues comme authentiques.
Explorer ses désirs… autrement
L’un des usages les plus « prometteurs » de ces technologies pourrait bien être l’exploration de la sexualité. À l’instar des sextoys connectés capables d’enregistrer des données physiologiques, certains érobots pourraient bientôt offrir une analyse personnalisée du plaisir, aider à identifier ses préférences ou encore servir d’outil d’apprentissage.
Toujours selon les chercheurs Simon Dubé et Dave Anctil, « ces dispositifs pourraient fournir une éducation sexuelle interactive, basée sur les principes du consentement, de la diversité et du respect mutuel ». Un tel usage pourrait être pertinent dans un monde où l’éducation à la sexualité reste parfois lacunaire, voire absente.
Des limites éthiques bien réelles
Cette évolution soulève toutefois des questions majeures. Le consentement, d’abord : un robot est programmé pour obéir, ce qui risque de brouiller la perception du respect et du libre arbitre dans les relations humaines. Il y a également un biais de genre et de représentation. À l’instar des poupées hypersexualisées, la production actuelle d’erobots tend à privilégier une représentation stéréotypée et sexualisée des corps féminins.
Un sondage réalisé pour l’entreprise Tidio (spécialisée dans les chatbots) révèle que 48 % des hommes seraient ouverts à des relations sexuelles avec des robots, contre 33 % des femmes. Cette différence pose aussi la question de l’inclusivité de ces technologies et des désirs qu’elles servent.
Autre préoccupation : la reproduction de stéréotypes racisés ou sexistes dans les traits, les comportements ou les voix attribués aux robots. Certains chercheurs plaident pour une régulation stricte de ces représentations, voire l’interdiction de certains usages commerciaux.
La question n’est donc plus de savoir si les robots feront partie de notre intimité, mais comment. Cette nouvelle ère pose autant de promesses que de défis. Elle bouscule nos définitions traditionnelles du couple, du plaisir, de la communication et du consentement. Et surtout, elle nous oblige à réfléchir, collectivement, à ce que nous attendons – ou redoutons – d’une technologie qui commence à parler notre langage… au plus intime de nous-mêmes.