Entre les piqûres sauvages, le GBH et les collés-serrés non consentis, les boîtes de nuit sont devenues des lieux hostiles pour les femmes, qui n’osent plus s’y déhancher. Si elles se font harceler ou si elles se sentent en danger, elles peuvent désormais se diriger au bar et commander un cocktail nommé Angel Shot. Ce n’est pas une boisson, mais un nom de code qui dit discrètement « à l’aide ».
Un cocktail comme signal d’alarme
Le Angel Shot ne figure pas sur la carte des bars et des boîtes de nuit. Les noctambules qui ont la levée de coude facile et qui connaissent tous les cocktails sur le bout des lèvres n’ont même pas conscience de son existence. Pas étonnant puisque cette boisson qui sonne aussi bien que le Moscow Mule et le Cosmopolitan, n’en est pas vraiment une. Les femmes qui réclament un Angel Shot dans le brouhaha des clubs branchés ne reçoivent pas un verre chargé de liquide coloré en retour, mais de l’aide.
Angel Shot n’est pas un breuvage « signature », ni une recette « à la mode », c’est un mot de passe discret. Les femmes qui passent cette commande le font généralement les jambes tremblantes et la voix implorante. Si elles prononcent ce nom de code, c’est qu’elles ont certainement fait une mauvaise rencontre sur la piste et qu’elles essaient de fuir une menace.
Popularisé grâce au bouche à oreille de TikTok, le Angel Shot est un cri silencieux et un langage crypté précieux. Surtout dans un monde de la nuit où les hommes prennent les femmes en mini jupe et en cropped top pour acquises. Malgré les videurs qui filtrent les hommes venus en meute, des prédateurs rôdent sous les boules à facettes. Dans ces espaces où la proximité est inévitable, une bousculade peut rapidement se muer en attouchement. Selon une expérience menée avec une robe parsemée de capteurs sensoriels, une femme se fait toucher 40 fois par heure sans son accord.
D’autres boissons pour appeler au secours
Dans une vidéo TikTok, le barman Ben Smith dresse la liste de toutes les « variantes » de l’Angel Shot pour que les clientes puissent préciser la nature du danger sans se faire prendre par leur agresseur, potentiellement dans les parages. En fonction du type d’Angel Shot commandé, le personnel du bar saura comment réagir.
Si vous commandez un Angel Shot « pur » ou « nature », ça signifie que vous voulez être raccompagnée à votre voiture. Le barman vous escorte jusqu’à la portière de votre véhicule en catimini par l’issue de secours. Si l’Angel Shot est servi avec des glaçons ou de la glace, cela indique que vous avez besoin d’aide pour appeler un Uber, un Lyft ou un taxi. Enfin, si vous demandez un supplément rondelle de citron vert, vous informez le personnel qu’il doit contacter la police.
Ces noms, qui n’éveillent aucun soupçon et qui se prêtent au décor de la nuit, ne s’exposent pas derrière le comptoir. Ils s’inscrivent en caractère gras derrière la porte des toilettes de ces mesdames. Cependant, depuis que le Angel Shot est devenu viral sur les réseaux, même les frotteurs nés et les agresseurs déguisés en connaissent le sens caché. Le bar Rennais « le Meltdown » l’a ainsi rebaptisé « Oeil d’Horus » pour en garder toute la confidentialité.
Le prolongement du dispositif Angela
Le Angel Shot est dérivé du dispositif Angela, un système d’appel à l’aide répandu dans de nombreuses villes. Les femmes qui se sentent suivies dans la rue, qui se font siffler, insulter, agresser et qui n’ont plus assez de leur téléphone pour se rassurer peuvent demander à « voir Angela » à la caisse d’une boutique. Si les femmes subissent un harcèlement de rue quasi épidémique, en boîte de nuit, elles ne peuvent pas mettre un pied devant l’autre sans se faire importuner. Tant et si bien que certaines en viennent à renoncer aux sorties endiablées pour éviter les scénarios dramatiques.
Attendre un Uber dans la nuit noire en gardant les doigts sur la bouteille de parfum, subir des mains baladeuses sans jamais savoir à qui elles appartiennent, surveiller son verre au point de décliner des danses dans la foule opaque… En boîte de nuit, les femmes sont en hypervigilance. Cependant, si malgré toutes ces précautions, elles tombent sur un homme trop insistant, elles peuvent trouver refuge au bar, en demandant un Angel Shot. Mieux encore, elles peuvent aussi se trémousser librement dans des soirées réservées aux filles. Dans ces bringues interdites aux hommes, elles bougent sur du Beyoncé en chaussure à plateforme et en robe moulante. Elles font tout ce qu’elles s’empêchent de faire dans les boîtes classiques : profiter.
Six Françaises sur dix déclarent avoir déjà été victimes de harcèlement ou d’agression dans des établissements festifs. Le Angel Shot apparaît donc comme une « formule magique » essentielle dans un environnement à la base de nombreux traumatismes.