La « falaise de verre » : une promotion empoisonnée pour les femmes

Après le plafond de verre, encore plus gros et plus grave, la falaise de verre. Un phénomène qui touche et discrimine, une fois de plus, les femmes. Si accéder à des postes à haut pouvoir est encore compliqué pour celles-ci, la falaise de verre leur en donne la possibilité. Mais non sans conséquences…

La « falaise de verre » ou «  glass cliff », c’est quoi ?

Ce phénomène a été découvert au Royaume-Uni en 2005, par deux professeurs de psychologie sociale et organisationnelle de l’université d’Exeter, Michelle Ryan et Alex Haslam. Qu’en est-il ? Il s’agit du même concept que « le plafond de verre » (désigne le fait que dans une structure hiérarchique, les niveaux supérieurs ne sont pas accessibles à certaines catégories de personnes, surtout les femmes), mais en bien plus vicieux.

C’est le fait de mettre au pouvoir des femmes seulement dans des contextes de crise ou dans des circonstances (très) compliquées. Conséquences : les hommes ont plus d’attentes et les femmes ont plus de risque d’échouer et de se faire évincer.

« Lorsque l’on positionne des femmes à la tête d’entreprises ou de mouvements politiques à des moments de crises, on espère qu’elles vont apporter quelque chose de différent. Bien souvent ça ne fonctionne pas et ça vient renforcer les stéréotypes selon lesquels les femmes ne seraient pas compétentes pour exercer un poste de leadership », explique Sarah Saint-Michel, Maitresse de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, à Madmoizelle

Comment se manifeste la « falaise de verre » ?

Alors que le nouveau droit de la société anonyme, récemment entré en vigueur, impose un quota de 30 % de femmes au sein des conseils d’administration et de 20 % en ce qui concerne les postes de direction, la falaise de verre est le cadeau empoisonné qu’aucune femme ne veut. Une discrimination implicite qui mène les femmes au sommet pour s’écrouler.

Et ce phénomène n’est pas peu répandu. C’est notamment l’expérience qu’a vécue Carol Bartz, lorsqu’elle a été nommée PDG de Yahoo! en janvier 2009. Avant sa nomination, l’entreprise était déjà en difficulté. Et c’est sans surprise qu’elle fut licencié, à peine deux ans après.

Même scénario dans la sphère politique. Prenons l’exemple de la nomination de la Première ministre britannique Theresa May en 2016. À cette époque le climat politique était instable. Il était quasiment impossible de réussir les missions confiées. De fait, elle n’est pas parvenue à finaliser les accords entre le Royaume-Uni et l’Union européenne et a démissionné trois ans plus tard.

Nos politiciennes françaises également touchées

La falaise de verre n’a pas de frontière. Ce phénomène a été décelé par Sarah Robison et Clara Klurich, chercheuses au département de psychologie sociale de l’université de Genève, lors des élections législatives françaises de 2002, 2007, 2012 et 2017.

Le constat ? Les candidates des partis « historiques » ont été élues dans des circonscriptions plus difficiles à remporter, comparées aux hommes. Un constat que l’on pourrait, à première vue, rapprocher à celui des candidates à l’élection présidentielle 2022 que sont Anne Hidalgo (Parti socialiste) et Valérie Pécresse (les Républicains).

-> Anne Hidalgo, moins soutenue

En effet, la campagne de la représentante du Parti socialiste a coûté moins cher que celle de Benoît Hamon en 2017, d’après les dires d’Olivier Faure, premier secrétaire du Parti. Mais, la défaite d’Anne Hidalgo n’est pas que la sienne.

François Rebsamen – maire PS de Dijon – avait avoué en mars dernier sur Franceinfo qu’Anne Hidalgo était « plombée par le parti socialiste », « Elle s’est lancée dans la campagne alors même qu’il n’y a pas eu de débat au Parti socialiste et que l’on n’a pas arrêté de programme. Elle en fait donc les frais », ajoutait-il.

Cependant, le PS était déjà sur les rotules. Pour rappel, en 2017, le parti a dû vendre l’immeuble de son siège rue Solférino, à Paris, pour la somme de 45 millions d’euros. Avec la défaite de la candidate à moins de 5 %, ce sont seulement 800 000 euros de rembourser et un échec porté par la candidate, elle seule.

-> Valérie Pécresse, endettée personnellement

Valérie Pécresse n’y échappe pas non plus. Après les résultats, elle déclare être endettée à titre personnel de 5 millions d’euros, ce qui met à mal la survie de son parti. Cela lui a également valu de multiples humiliations sur les réseaux sociaux.

Un endettement financier que se justifie, selon Sarah Saint-Michel, par un manque de soutien de son Parti.

« Les partis auraient dû être vigilants pour les soutenir, coûte que coûte, car la situation était déjà difficile. Or ce qu’on constate c’est que les partis ne les ont pas soutenues. On a reproché à Valérie Pécresse son manque d’authenticité, d’être trop scolaire, trop studieuse, de ne pas assez partager avec les électeur.rice.s de convictions personnelles », souligne Sarah Saint-Michel, Maitresse de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, à Madmoizelle

Ainsi, la Falaise de verre ne semble pas être un phénomène en marge. Il traduit un sexisme et une forme de discrimination en vers les femmes. Subtile, elle peut, néanmoins, devenir un tremplin pour celles qui y font face. Une femme qui aura su gérer la crise réussira plus facilement sa carrière, car grandement valorisée par ses supérieurs.

Shem's Tlemcani
Shem's Tlemcani
Je suis passionnée par les sujets sociétaux et la santé. Mon intérêt pour les questions sociales me pousse à explorer des enjeux tels que la lutte contre la pauvreté, l'éducation et le changement climatique. En matière de santé, je m'investis dans les domaines du bien-être, de la nutrition et de la prévention des maladies. Je m'efforce de rester informée et d'utiliser ma voix pour sensibiliser et encourager le débat et l'action sur ces sujets cruciaux.
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