« J’ai été complexée, je ne trouvais pas de figures qui me ressemblaient », rencontre avec Grace Ly, militante tout terrain

Grace Ly, quarantenaire dynamique et maman de trois enfants, mène une lutte acharnée contre le racisme anti-asiatique. Cette amazone des temps modernes vogue sur tous les fronts pour faire évoluer les mentalités. Rencontre.

Auteure du roman « Jeune fille modèle« , co-fondatrice du podcast « Kiffe ta race« , instigatrice de la websérie « Ça reste entre nous«  ; elle tient aussi les rênes du blog culinaire « La Petite Banane« . Une palette large d’activités qui visent à désamorcer les préjugés. Née de parents chinois réfugiés après avoir fui la guerre au Cambodge, elle tente de se frayer un chemin dans une société arriérée. Mais sa tendre enfance a été bouleversée par des brimades racistes et des remarques dégradantes sur son physique.

Pour avorter cette souffrance, elle décide, tardivement, de se lancer dans une aventure littéraire. L’écriture est devenue un outil thérapeutique pour se libérer du poids de ces maux invisibles. Depuis, son combat s’étoffe et prend de nouvelles formes, toujours plus novatrices.

The Body Optimist : Vous luttez avec fermeté contre le racisme anti-asiatique, pourquoi ce combat vous tient-il autant à cœur ? À partir de quand avez-vous compris qu’il était temps d’agir ?

Grace Ly :  « J’ai moi-même vécu du racisme anti-asiatique et ça me fait un bien fou de pouvoir en parler, de contribuer à cette conversation-là sur le progrès social. Le déclic est venu quand j’ai eu mes enfants. Quand j’étais petite, on me disait « ching chong », que mes yeux étaient bridés…pleins de choses que je vivais et que je voyais d’un œil fataliste.

Quand je me suis rendue compte que mes enfants vivaient la même chose, ça m’a alerté. On leur disait « Ni hao » à l’école, quand c’était le début du covid-19, leurs camarades de classe ne voulaient plus leur tenir la main parce qu’ils étaient asiatiques. Il y a trente ans, le racisme était bien présent et aujourd’hui presque rien n’a changé. »

Vous avez écrit le livre « Jeune fille modèle », qui est sorti en 2018 aux éditions Fayard, mais avant cela vous ne vous destiniez pas du tout à l’écriture, pourquoi ?

« Déjà la plupart des écrivains que j’ai lu au collège, c’était des hommes et ils étaient morts, alors ce n’était pas une piste. Et je pense qu’en tant qu’enfant d’exilés, on a cette pression de faire quelque chose d’utile. Alors, le métier d’avocat semblait beaucoup plus porteur pour mes parents. Quand ils ont fui leur pays, leur diplôme ne valait plus rien donc pour leur descendance c’était une forme de sécurité. »

Vous avez arrêté votre carrière dans le droit pour vous consacrer pleinement à l’écriture, comment avez-vous eu le déclic ? Quels sont vos rapports avec le monde littéraire ?

« J’ai grandi avec une représentation des personnes asiatiques faussée et réductrice. Je voulais renverser ces codes arriérés. L’envie d’écriture a toujours existé, parce que finalement avocat c’est aussi un métier de la plume. C’est juste qu’il utilise les mots de manière différente. J’ai créé un blog culinaire en 2011. Disons que c’était pour me mettre le pied à l’étrier. Je le faisais parce que j’avais lu des horreurs à propos des restaurants chinois. Il y avait beaucoup de clichés qui persistaient : que c’était sale, qu’on y mangeait du chien… C’est en déconstruisant ces stéréotypes que j’ai aussi réussi à me reconnecter à mes racines. Quand on vit avec le racisme anti-asiatique, on a une relation d’amour-haine avec sa culture d’origine. »

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre premier roman ? Pourquoi ce titre ?

« C’est l’histoire de Chi Chi, une lycéenne française qui vit dans le 13ème arrondissement et qui est plutôt mal dans sa peau. Elle a l’impression d’être un cliché vivant et de correspondre à tous ces stéréotypes que la société a à propos des personnes asiatiques. Elle essaye de renouer avec ses racines en se plongeant dans son histoire familiale. Ses parents ont fui le régime des Khmers rouges au Cambodge et se sont réfugiés en France. C’est un livre qui me tenait beaucoup à cœur parce que j’y ai mis beaucoup de moi et de mes proches. Le titre fait référence au fait que Chi Chi a une grande pression familiale, elle doit être irréprochable. »

Dans votre livre, votre héroïne Chi Chi souffre donc du regard des autres, des clichés sur la communauté asiatique. Est-ce un écho à votre vie personnelle ?

« Oui, moi aussi j’ai été une jeune fille complexée, je ne me trouvais pas belle, je ne trouvais pas de figures qui me ressemblaient… C’est une histoire dans laquelle j’ai baigné aussi, c’est donc un peu un écho à mon vécu. »

Vous abordez également plusieurs sujets encore « tabous » aux yeux de la société comme l’exotisation des femmes asiatiques. Pourquoi c’était important pour vous d’en parler ?

« Il y a beaucoup de clichés sur les personnes asiatiques et les femmes en pâtissent. On se dit qu’elles sont douces, dociles, plus soumises, plus sexuellement disponibles. Cette fétichisation date du XIXème siècle mais perdure encore aujourd’hui. La preuve, en 2018 Yann Moix a dit qu’il ne sortait qu’avec des femmes asiatiques. Mais c’est impossible de trouver une attirance pour toutes les femmes d’un continent. Dire « Je ne suis jamais sorti avec une Asiatique » c’est très violent. On a l’impression d’être considéré comme un bien ou une expérience. »

Quel impact l’écriture a-t-elle eu sur votre vie ?

« J’ai vraiment été conquise par cet exercice, j’ai mis l’écriture au centre de mon quotidien, je me plais beaucoup à avoir poussé l’écriture sur le devant de ma vie. Ça a bouleversé ma vision de moi-même et ça m’a donné de la force. Ça a tout changé, c’est mon moteur à présent. »

Dans cette même lignée de lutte contre les préjugés et contre le racisme, vous avez lancé la websérie « Ça reste entre nous », qui donne la parole aux Asiatiques de France. Comment s’articulent-elles ?

« J’avais très envie de voir plusieurs personnes asiatiques sur un écran qui discutaient ensemble de sujets variés. Ce sont des parcours vraiment différents, il y a des personnes Sud-Coréennes, du Laos, de Malaisie… Ils vont discuter de choses tout à fait universelles, de l’éducation, de l’image des hommes, de la double-culture… C’est comme si on était à table avec des ami·e·s. Le fait de les écouter parler, ça a eu un véritable impact thérapeutique, ça m’a fait beaucoup de bien. »

Vous êtes passée par l’écriture, la vidéo et vous vous êtes aussi lancée dans une aventure auditive en créant avec la journaliste Rokhaya Diallo le podcast « Kiffe ta race ». Comment arrivez-vous à jongler entre toutes ces activités ? Qu’est-ce qui vous motive au quotidien ?

« Je suis très contente de pouvoir articuler toutes ces activités, à chaque fois que j’ai une idée en tête, j’essaye de trouver le bon format pour la retranscrire au mieux. Je pense que la question des valeurs et de la transmission est importante pour ma construction personnelle. Mes enfants aussi me motivent, je partage tout ça avec eux, ils m’aident tous les jours à être une meilleure personne. »

Vous êtes une militante active, mais vous êtes donc aussi une maman de trois enfants. Quelles valeurs inculquez-vous à vos enfants ? Comment leur apprenez-vous la tolérance ?

« Je n’utilise pas le mot tolérance, j’ai l’impression que c’est un mot du conditionnel, je parle plutôt d’acceptation. C’est aussi difficile pour les parents de parler de ces sujets-là. Je prends le soin de les considérer comme mes égaux. Je ne décide pas à leur place, je souhaite qu’ils prennent les décisions eux-mêmes. C’est comme ça qu’ils se forgeront leurs opinions. »

Avez-vous des conseils à nous donner pour enrayer le racisme anti-asiatique que l’on qualifie même « d’ordinaire » ?

« Il y a un épisode de « Kiffe ta race » qui a bien fonctionné, c’était « Comment être un bon allié » et il y a 11 conseils, le premier c’est d’écouter. Justement il existe des comptes Instagram qui luttent contre le racisme anti-asiatique. Il y a aussi la Charge Raciale, Décolonisons-nous et pour le féminisme il y a les Glorieuses, les Effrontées.

Ils fournissent des infos précieuses, c’est un bon moyen de s’éduquer. Je suis très confiante pour l’avenir, je suis persuadée que la balance va pencher en la faveur des belles actions. »

Justement, est-ce que vous avez de nouveaux projets en tête pour les années à venir ?

« Oui, je suis en train d’écrire mon deuxième roman qui sortira fin 2021 ou début 2022, je croise les doigts. Et sinon avec Rokhaya Diallo on continue d’enregistrer nos podcasts. »

Merci à Grace d’avoir répondu à nos questions ! Vous pouvez suivre ses aventures au-delà de notre article, sur son compte Instagram : French Grace. Mais aussi sur son blog et pour écouter le podcast « Kiffe ta Race » qu’elle co-anime aux côtés de Rokhaya Diallo, ça se passe ici.

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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