Au Japon, un métier étrange permet de remplir les métros chaque matin

Chaque matin à Tokyo, aux heures de pointe, des milliers de Japonais se dirigent vers les gares avec une rigueur presque chorégraphiée. Et parmi la foule, on peut encore apercevoir, dans certaines stations, une figure étonnante et méconnue ailleurs dans le monde : celle de l’oshiya (押し屋), littéralement “celui qui pousse”. Armé de gants blancs, posté au bord du quai, cet employé a pour mission… de faire entrer les passagers dans les rames déjà bondées. Un métier singulier, à la frontière entre nécessité urbaine et symbole culturel.

Une réponse à la densité extrême des transports

L’apparition des pushers japonais remonte aux années 1960, en pleine période de forte croissance économique. Tokyo, en expansion constante, voit sa population augmenter, tout comme le nombre de travailleurs pendulaires. Les trains, pourtant réputés pour leur efficacité et leur ponctualité, peinent à absorber la masse croissante de passagers.

C’est dans ce contexte que des agents sont recrutés pour aider à la fluidité du trafic, notamment dans les stations les plus encombrées comme Shinjuku, Ikebukuro ou Ueno. Le rôle de ces agents est clair : faire entrer le plus de passagers possible dans chaque wagon, tout en veillant à ce que personne ne reste coincé dans les portes. Une tâche délicate, encadrée, et exécutée avec la politesse et la précision propres au système japonais.

Un métier codifié… et respecté

Les oshiyas ne sont pas de simples agents de sécurité improvisés. Ils sont formés à des gestes précis, doivent faire preuve de retenue et de vigilance, et agissent toujours avec courtoisie. Le port des gants blancs, devenu emblématique, participe de cette rigueur et de cette neutralité professionnelle.

Sandra Barron, une Américaine installée à Tokyo, expliquait dans une interview pour CNN que les pushers sont considérés comme “une solution temporaire devenue tradition”, et non comme une curiosité folklorique. Leur présence rassure : ils assurent que le train pourra partir à l’heure, que les portes seront bien fermées, et que personne ne se mettra en danger.

Quand la culture rencontre l’efficacité

Au-delà de la simple organisation urbaine, la figure de l’oshiya incarne plusieurs valeurs clés de la société japonaise : la ponctualité, la discipline collective, la priorité donnée au bien commun sur l’individu. Dans un pays où le retard d’un train peut faire l’objet d’une excuse formelle auprès des passagers, chaque seconde compte. Le rôle des pushers, bien qu’inhabituel, s’inscrit donc dans une logique d’optimisation et de respect du temps d’autrui. Le système de transport japonais fonctionne à un niveau de précision inégalé : en 2019, les trains de Tokyo circulaient à 163 % de leur capacité normale en heure de pointe. C’est beaucoup, mais cela marque déjà une nette amélioration par rapport aux années 1990 et 2000, où certains trains dépassaient les 200 %.

Un métier en voie de disparition ?

Avec les évolutions démographiques et technologiques, le besoin de pushers s’est peu à peu réduit. Le Japon connaît un ralentissement de sa croissance urbaine, une baisse de la population active, et a mis en place des incitations pour décaler les horaires de travail, afin d’éviter la congestion matinale. De nombreuses lignes disposent aujourd’hui de trains supplémentaires ou de systèmes de réservation numérique qui fluidifient le trafic.

Résultat : les oshiyas ne sont plus présents qu’à Tokyo, sur quelques lignes très fréquentées, et principalement aux heures les plus intenses. Leur nombre a fortement diminué, mais leur image reste ancrée dans l’imaginaire collectif.

Une fascination occidentale teintée d’incompréhension

Vue de l’étranger, la pratique peut sembler étrange, voire dérangeante. Des médias comme le New York Times l’ont décrite avec humour comme le travail de “tushy pushers” — comprenez, ceux qui poussent… les fessiers. Pourtant, les Japonais n’y voient ni humiliation, ni inconfort insurmontable. Les règles sont claires, les gestes encadrés, et surtout, l’objectif reste toujours celui du bien-être général : permettre à chacun de se rendre à son travail à l’heure, sans chaos ni bousculade incontrôlée.

En 2025, dans une société de plus en plus soucieuse d’inclusion, d’espace personnel et de mobilité durable, la simple existence des pushers interroge nos propres modèles. Est-il acceptable d’être poussé physiquement dans un train ? Ou est-ce, au contraire, une preuve de pragmatisme collectif ?

Un métier entre mythe urbain et réalité sociale

Le métier d’oshiya pourrait bientôt disparaître des quais japonais. Et pourtant, il reste un symbole puissant d’un Japon qui, face à la densité, a choisi l’ordre et la discipline plutôt que le désordre. Un métier étrange, peut-être, mais révélateur d’un rapport à l’espace, au temps et à la société qui diffère profondément des modèles occidentaux.

À l’heure où les grandes villes du monde cherchent des solutions à la surcharge des transports, peut-être n’est-il pas inutile de s’inspirer — ou au moins de comprendre — cette forme d’organisation urbaine unique, où même pousser devient un acte codifié, pensé et respecté.

Léa Michel
Léa Michel
Passionnée par les soins, la mode et le cinéma, je consacre mon temps à explorer les dernières tendances et à partager des astuces inspirantes pour se sentir bien dans sa peau. Pour moi, la beauté réside dans l'authenticité et le bien-être, et c'est ce qui me motive à offrir des conseils pratiques pour allier style, soin et épanouissement personnel.

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