#MeToo des armées : vers la fin de l’omerta dans l’Armée française ?

Depuis sa création, le mouvement #MeToo ne cesse de se dédoubler et de se décliner sous de multiples extensions. Après avoir secoué le monde du cinéma, du sport ou encore de la publicité, il vient pulvériser la réputation bien gardée de l’Armée française. Le témoignage de Manon Dubois, agressée sexuellement par un autre militaire lors de ses missions dans la marine, a fait l’effet d’une bombe. Il a également permis de libérer d’autres paroles, jusque-là fermement bâillonnées. Un silence, enfin rompu, qui laisse entrevoir un #MeToo des armées à la fois urgent et courageux. Les victimes lèvent leurs voix, leurs plus précieuses armes pour percuter ce milieu supposé faire régner l’ordre et la sécurité.

À l’origine du #MeToo des armées, un témoignage glaçant

Au sein de l’Armée française, les femmes sont encore en nombre inférieur. Selon les chiffres officiels, elles représentent 16,5 % des effectifs militaires. Mais ça n’a pas freiné la jeune Manon Dubois à rejoindre les rangs de la marine française. À tout juste 18 ans, elle arbore fièrement l’uniforme et fait ses premiers pas sur le Telenn-Mor à Brest. Seule femme sur le navire, elle attaque cette mission initiatrice avec enthousiasme. Mais ces trois années en marge de la terre ferme se transforment en cauchemar. Sur le plancher de ce bateau, où elle exerce en tant que cuisinière, Manon subit des agressions hebdomadaires d’un autre militaire électricien.

« Ça allait de la simple main aux fesses, à tenter de m’embrasser de force et frotter son sexe contre le mien », dépeint-elle. Un scénario qui se répète inlassablement deux fois par semaine et pendant plus d’un an. Son corps est souillé par cet homme qui se pense en terrain conquis. Pour ne pas faire de vague, Manon préfère d’abord taire cette histoire. Mais l’affaire finit par s’ébruiter plus haut et l’agresseur se retrouve affecté à un autre régiment. Cependant, deux années plus tard, le calvaire reprend, comme une boucle infernale. Malgré la connaissance des faits passés, elle est de nouveau mêlée à son prédateur sur la frégate « le Normandie ». Le schéma se répète, avec encore plus de brutalité. Les effleurages muent en tentatives de viol et c’est là que Manon sombre.

« Et puis, je le croise dans une coursive. Et là, il recommence. Je me retrouve enfermée avec lui dans un local et il se passe la chose la plus grave qui s’est passée », raconte-t-elle entre les lignes de France Info

Depuis que Manon Dubois a retiré cette bande invisible qui régnait sur sa bouche, un #MeToo des armées semble s’esquisser dans ce secteur rongé par les non-dits. D’autres victimes ont emboîté sa voix pour révéler le vrai visage de la « Grande Muette ». L’image policée des troupes disciplinées s’effondre sous le poids de ces mots assourdissants.

Des victimes qui se soulèvent et dénoncent à l’unisson

Dans le sillage du témoignage précieux de Manon, d’autres victimes se sont servies de leur voix comme d’un instrument de bataille, un calibre à forte détonation. En à peine une semaine, 120 témoignages sont remontés jusqu’aux oreilles du gouvernement pour signaler des faits de harcèlement, d’agressions sexuelles ou de comportements sexistes au cœur de l’armée française. Ce #MeToo des armées qui se dessine dans le paysage marque le début d’une lutte, qui se joue sans char ni grosse artillerie, mais à la force d’un « je » collectif.

Le 2 avril dernier, huit femmes et un homme ont également partagé leurs récits dans les colonnes de Paris Match. Tou.te.s attestent d’un problème endémique, mais soigneusement camouflé. La plupart ont témoigné sous anonymat, sauf Ninon Mathey. Son histoire semble se superposer à celle de Manon Dubois, avec un mode opératoire similaire et toujours des peines dérisoires. Son bourreau ? Un brigadier, plus haut placé qu’elle, qui l’agresse à plusieurs reprises et la viole, en toute impunité.

À l’heure actuelle, Ninon a quitté les rangs de l’armée et doit endurer des traumatismes éternels, tandis que son agresseur, lui, a été propulsé à un grade supérieur. Une injustice criante qui est loin de faire exception. D’où l’urgence de ce #MeToo des armées. En 2023, la cellule « Themis » chargée de lutter contre les violences sexuelles dans l’Armée française faisait état de 226 signalements, dont un tiers pour des faits de viols. Mais la plupart de ces affaires sont laissées en suspens, minimisées ou volontairement étouffées.

Des sanctions jugées pas assez fermes

À son retour à quai, Manon Dubois a décidé de déposer plainte. Mais contrairement à ce qui devrait relever de l’évidence, l’agresseur de celle qui est à la source de ce #MeToo des armées n’a pas été radié, ni même durement sanctionné. Il a simplement écopé de dix jours d’arrêt, de 600 euros d’amende en dédommagement à la victime et d’un stage de lutte contre le sexisme. Malgré soixante chefs d’accusation qui pesaient contre lui, le principal coupable peut encore exercer librement et donc avoir de nouvelles proies dans le viseur. L’Armée française semble faire front à ce fléau. C’est en tout cas ce que pointait l’enquête édifiante « La Guerre invisible », portée par les deux journalistes Leila Minano et Julia Pascual.

Un concentré de deux ans de recherches qui mettait en relief les méthodes crasses de l’Armée pour éteindre le feu et désamorcer les « conflits » en interne. Comme le constate ce document massif, les victimes sont régulièrement mutées ou retranchées dans un arrêt maladie forcé tandis que les agresseurs, eux, continuent d’écumer les régiments. Ce #MeToo des armées montre les dessous de l’Armée française, qui forge des boucliers de défense aux agresseurs et condamne les victimes au silence.

Comment le ministère des Armées a-t-il réagi ?

Le témoignage de Manon, qui résonne comme un cri d’alerte, a instantanément interpellé Laëtitia Saint-Paul, députée du Maine-et-Loire et seule militaire élue à l’Assemblée nationale. La femme politique, qui est passée par la noble école de Saint-Cyr, n’a pas tardé à faire du #MeToo des armées, une cause personnelle. Elle entend bien faire éclater cette chape de plomb qui pèse au-dessus de nombreuses têtes.

« Le cas de Manon est le cas de trop. On est sur un mode d’action classique : un agresseur qui a fait ses preuves opérationnelles, et une jeune recrue pleine de talent, de vie, agressée qui se fait éjecter de l’institution », a-t-elle déclaré à France Bleu

La députée s’est entretenue avec Sébastien Lecornu, ministre des Armées pour lui suggérer un plan d’action complet en trois points. Elle a notamment conseillé de revoir les régimes des sanctions, de prendre en considération la gravité des faits et de faire un bilan de la cellule « Thémis » au bout de dix ans.

Cette capitaine de l’armée de terre, plutôt du genre tenace, reçoit environ trois témoignages par jour depuis qu’elle s’est positionnée par rapport à cette affaire. En parallèle, la ministre chargée de l’Égalité entre les hommes et femmes a créé une boîte mail « temoignages-efh@pm.gouv.fr«  pour donner de la résonance à ce #MeToo des armées.

Ce #MeToo des armées, qui convertit la parole des victimes en munition, parviendra-t-il à bousculer ce milieu gangréné par le sexisme ? C’est en tout cas un sacré coup de fusil dans l’image dorée de l’Armée française, élite de la sécurité. 

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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