Paris Fashion Week : le handicap toujours banni des podiums ?

Après New York et Milan, la Fashion Week reprend ses quartiers à Paris, autoproclamée capitale de la mode. Entre les murs les plus prestigieux de la Ville Lumière, les projecteurs se posent sur des tenues élégamment scénarisées. À l’issue de cet événement, annonciateur des tendances futures, les top modèles servent de vitrine aux vêtements griffés. Mais elles ne renvoient pas un miroir très juste de la société, qui compte plus d’un milliard de personnes handicapées. Les chaises roulantes, les cannes et les jambes bioniques n’ont pas encore la chance de tutoyer les catwalk. Les mannequins en situation de handicap sont souvent éclipsé.e.s de ces tableaux artistiques qui mobilisent tous les regards transis. Malgré des efforts de diversité, le handicap peine à faire irruption sur la scène de la Fashion Week parisienne. Pourquoi un tel désamour ?   

Le handicap, encore rare sur le catwalk de la Paris Fashion Week

Pendant deux semaines, tous les yeux sont rivés sur la Fashion Week de Paris. Pour cette nouvelle édition qui présage les collections printemps-été 2025, les grandes maisons prouvent encore leur génie créatif, entre opulence, audace et provocation. Saint Laurent porte à l’affiche des silhouettes androgynes parées de smoking oversize. Rabanne éblouit les rétines avec un sac inestimable composé de 371 disques en or 18k. Dior s’inspire du vestiaire sportswear et assume des influences olympiques. Si les vêtements revendiquent tous une certaine singularité, les corps qui les exposent, eux, se copient-collent.

Dans cette symphonie de textiles, pas de mannequins handicapé.e.s, ni de physiques à particularités. La marque L’Oréal est la seule à faire exception et à tirer son épingle du jeu. En vedette de son défilé : la mannequin et athlète Béatrice Vio. Déjà croisée sur une autre scène, celle des Jeux paralympiques de Paris 2024, elle troque son habit immaculé d’escrimeuse contre un ensemble à franges doré. Foudroyée par une méningite, cette femme cyborg dotée de quatre prothèses à chaque extrémité du corps est presque l’unique ambassadrice du handicap à la Paris Fashion Week 2024. Citons aussi Marie Bochet skieuse handisport française et Daniella Alvarez Miss Colombie 2011 amputée d’une jambe croisées au défilé L’Oréal. Les apparitions de ce genre sont bien marginales.

En 2022, Sofia Jirau, mannequin portoricaine porteuse de trisomie 21, campait le rôle d’égérie pour la campagne « The Love Clout » signée Victoria’s Secret. Sur le même fil inclusif, la marque Moschino avait élu Aaron Philip, mannequin noire perchée sur quatre roues pour incarner sa collection Printemps/Été 2022. Des choix particulièrement symboliques qui sont encore loin d’être unanimes. À la Paris Fashion Week plus qu’ailleurs, le handicap s’impose difficilement sous les coutures. Si les cadors de la mode honorent désormais toutes les carnations et toutes les natures de cheveux, ils crient à la complexité lorsqu’il s’agit de parer des corps jugés irréguliers.

Pourquoi la Paris Fashion Week tourne le dos au handicap ?

La Fashion Week est une institution. Elle supporte le lourd poids des traditions comme un manteau de plomb. À Paris, le constat est d’autant plus criant. Les marques qui font la mode de demain sont attachées aux anciennes valeurs et à ce patrimoine de la mode. Depuis le commencement, elles projettent le même idéal de beauté et le rendent intemporel. Si la Paris Fashion Week snobe le handicap, c’est donc avant tout une question d’héritage et par souci de conservation. Historiquement, la mode a souvent valorisé des corps élancés, jeunes, en plein dans les canons de beauté. Ce paradigme a façonné les attentes des maisons de couture, les incitant à recréer des silhouettes qui correspondent à cette vision.

Mais ce n’est pas la seule explication. Peut-être les griffes craignent-elles aussi que les regards se détournent de leurs créations pour se concentrer sur le physique en toile de fond. Les top ne sont pas censées monopoliser l’attention. Elles sont simplement là pour humaniser les créations et leur accorder une certaine force d’expression. Pour garder les tenues au premier plan, les virtuoses du style misent sur des mannequins « standards », qui ne suscitent plus la surprise.

Une agence britannique dédiée aux tops handicapés

Si le validisme règne encore sur la Paris Fashion Week, une agence britannique propose pourtant un catalogue de tops qui arborent fièrement leur handicap. Elle s’appelle Zebedee et elle s’est donnée pour mission de bousculer les castings et de changer le visage du mot « beauté ». Cette agence, au parti-pris salutaire, recrute des talents qui se prennent sans cesse des vestes dans le milieu sellette de la mode. Ils ont tous en commun d’avoir une « différence visible ». À travers cette riche galerie, les profils se conjuguent à l’infini. Loin de se cloner, les mannequins ont tou.te.s un « p’tit truc en plus » (clin d’oeil au film d’Artus).

Il y a Anastasia, atrophiée de la jambe gauche et munie d’une prothèse de fer, Clarissa, porteuse du Syndrome de Down et aussi Angelica, mannequin albinos au visage de platine. Parmi ce beau palmarès, une muse nommée Ellie Goldstein a fait la Une du magazine Vogue UK, portant les couleurs de la marque Gucci. Cette année, deux mannequins ont aussi écumé le podium de la Fashion Week de Londres.

Vic, jeune femme en fauteuil roulant, a rejoint l’éventail féminin de Gasanova, et Oscar, homme transgenre porteur d’autisme a défilé au nom d’Helen Kirkum. Cette agence, qui ne ressemble à aucune autre, offre une vitrine précieuse aux mannequins handicapé.e.s, trop régulièrement mis.es hors compétition. Pour la Paris Fashion Week, les marques peuvent donc aller chercher du sang neuf du côté de Zebedee et représenter le handicap. Ce ne serait pas du luxe.

 

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L’adaptative fashion pour une mode ouverte à tous les corps

Les créateur.rice.s phares de la Fashion Week de Paris ne semblent pas vouloir faire de compromis sur leurs vêtements, qui renferment un caractère quasi sacré. Les aiguilles vont toujours dans le même sens, à quelques exceptions près. Avec l’adaptative fashion, ce ne sont pas aux silhouettes de s’adapter aux vêtements, mais l’inverse. Cette mode de niche pense des vêtements qui se fondent dans tous les corps.

Les créateur.rice.s qui adoptent cette approche conçoivent des vêtements avec des fonctionnalités spécifiques. À l’image de fermetures éclair adaptées, des tissus extensibles ou des coupes faciles à enfiler. Quelques rajouts sur le patron originel qui font toute la différence. En 2022, à la Fashion Week de New York, la société de biotechnologie Genentech et Open Style Lab (OSL) en ont fait un fil rouge. Cape aux motifs électriques, veste poudrée dotée de fermetures magnétiques qui créent l’illusion parfaite, costume en velours muni de panneaux extensibles aux coudes… Ces vêtements illustrent une belle synergie entre élégance et praticité.

 

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Au lieu de concevoir des pièces serties, qui coûtent les yeux de la tête, les marques devraient peut-être revoir leur priorité lorsqu’elles apprivoisent la matière. La Paris Fashion Week est encore fermée au handicap, mais les autres pays qui accueillent l’événement rattrapent doucement ces lacunes.

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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