Pourquoi le no-bra fait-il encore autant polémique en 2022 ?

Le mouvement du no-bra, qui laisse le soutien-gorge au placard, ne cesse de prendre de l’ampleur depuis les confinements. Plus confortable au quotidien, cet abandon du sous-vêtement à bretelles concernerait d’ailleurs 20 % des femmes. Passé de tendance mode à symbole d’émancipation, le no-bra peine pourtant à dégrafer totalement les injonctions. Sur les réseaux, dans la rue ou au sein du cercle familial, cette libération de la poitrine est régulièrement pointée du doigt.

L’hypersexualisation suivrait-elle les femmes jusqu’au bout des seins ? Pourquoi les tétons apparents, si petits soient-ils, provoquent de si grands débats ? La rédaction vous éclaire.

Le sein, sans cesse érotisé

« Couvrez ce sein que je ne saurais voir… ». Ce passage incontournable de la pièce de Molière remonte au 17e siècle et en 2022, il n’a malheureusement pas pris une ride. Fruit défendu de la toile que certains dévorent d’un regard malsain, la poitrine touche encore la pudeur en plein cœur. En 2018, le célèbre tableau de Delacroix « La liberté guidant le peuple » a d’ailleurs été censuré par Facebook. Même son de cloche sur Instagram où ce bout de chair tout à fait ordinaire n’est pas le bienvenu.

Et dans l’espace public, le constat est tout aussi accablant. Dès que la poitrine se dessine sous un vêtement, les femmes se heurtent à des visages choqués. Pire encore, à du harcèlement. D’après une enquête IFOP, pour 20 % des Français.es les tétons apparents sous un haut devraient faire office de « circonstances atténuantes pour l’agresseur en cas d’agression sexuelle ». Un constat acerbe qui remet en lumière la place controversée du téton dans la société.

Le no-bra, successeur du #Freethenipples plus ancien, renverse tous ces codes sexuels rétrogrades. Cet affranchissement corporel fait exploser le sexisme et c’est ce qui dérange.

Quand le no-bra brise les mythes et la vision erronée du téton

Le téton, zone érogène par excellence, est souvent considéré, à tort, comme une marque de désir. En effet, dans l’intimité, dès que le téton est sollicité par des caresses ou des baisers, il a tendance à durcir. Ce phénomène qualifié d’érection n’est pourtant pas toujours d’origine sexuelle. Un simple courant d’air ou un contact avec le tissu du vêtement et le voilà aux aguets. Cependant, dans l’imaginaire collectif, ce signal incontrôlé de l’anatomie féminine doit rester secret, exclusif aux nuits d’amour.

Avec le no-bra, on sort le téton de sa zone intime pour le ramener au même rang que les autres parties du corps. Montrer ce qui est de l’ordre de « l’interdit » met les mythes sens dessus dessous. Pendant longtemps, les seins ont été dissimulés sous des décolletés, remontés par des corsets et sculptés par des soutiens-gorge. Avant le no-bra, les seins renvoyaient à une part de mystère, laissant libre cours à l’imaginaire de ces messieurs.

Découvrir la forme des seins à l’état brut, ne serait-ce que subtilement, gomme les frontières. Accusé d’être incorrect, voire indécent, le no-bra soulève surtout la sombre inégalité des genres qui pollue la société.

Le no-bra, un symbole d’affirmation à part entière

Pendant les confinements, le soutien-gorge était sous cloche, sagement enfermé dans les dressings. Fini les armatures douloureuses, les bretelles étouffantes et les agrafes apparentes, supplice pour la colonne vertébrale. Le ton était au no-bra ! Une renaissance pour le buste, enfin libre de ses mouvements. Cet abandon, à la fois révélateur et spontané, s’est naturellement ancré dans le monde post-covid, surtout chez les moins de 25 ans.

Le premier motif qui encourage le no-bra est sans conteste le confort. Mais la cause féministe est aussi défendue. Dans l’enquête IFOP réalisée sur ce sujet, les jeunes ont « le souhait de lutter contre la sexualisation des seins féminins qui impose de les cacher au regard d’autrui ». Acte de militantisme, soft-power d’un nouveau genre ou révolution féministe, peu importe le nom qu’on lui donne, le no-bra perturbe le tenace male-gaze.

Le patriarcat dans tous ses états

Dans les années 70, le topless avait le vent en poupe et annonçait déjà les prémices d’une libération. Mais à cette époque, un sondage de l’Express mené dans tout l’Hexagone titrait « Les Français.es sont pour les seins nus ». Alors, pourquoi, en 2022, le no-bra est-il plus gênant ? Les avancées sont-elles en perte de vitesse ?

Contrairement au topless, propre aux vacances et donc éphémère, le no-bra, lui, dure toute l’année. Omniprésent, il a même remis la question de la « tenue républicaine » sur la table. Selon un sondage, 66 % des Français.es étaient contre le no-bra au lycée. Parmi les votants défavorables, les séniors sont en tête de lice. Imposer aux femmes comment disposer de leur corps n’est qu’un ultime renvoi vers la domination masculine.

En allant à l’encontre de ces injonctions propres au patriarcat, les femmes imposent leur choix personnel et défient ce qui a longtemps fait figure « d’autorité ». Mais malgré cette réappropriation de leurs corps, les femmes restent en proie à des comportements misogynes. Plus de la moitié des femmes refusent le no-bra par crainte de faire l’objet d’agression physique ou sexuelle.

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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