Les talons sont plutôt occasionnels : ils s’accrochent à mes chevilles seulement pour les mariages ou les grands événements. Plus fidèle aux semelles plates des baskets, mes paires de prédilection, j’ai fait une entorse à mon shoesing habituel pour me percher à huit centimètres du sol. J’ai porté des souliers à talons à chaque sortie sur le bitume et ce fut un exercice vertigineux mais enrichissant.
Porter des talons, un challenge périlleux
Mes pieds sont plus proches de ceux des rugbymen que de Cendrillon. Ils ne passent pas l’entrée des escarpins pointus, ni des paires très fines. Difficile donc d’envisager des talons dans mes looks. Pourtant, j’ai voulu me prêter à ce jeu d’équilibre et me glisser dans la peau de ces femmes qui courent sur le pavé avec des aiguilles sous les pieds. Contrairement à ce que beaucoup imaginent, les femmes n’ont pas le pied cambré de Barbie, pensé pour défier la gravité. Si les businesswomen et les fashionistas avancent d’un pas affirmé et adroit sur leurs échasses de ville, je tiens à peine debout avec ces paires, qui ont tout de même le mérite de m’élever.
Pour moi, les talons se classent parmi ces pièces de torture que l’on porte en serrant les dents. C’est un peu l’équivalent du corset en version bas du corps. Alors c’est avec beaucoup d’aprioris que je me suis ancrée dans ces Stilettos. Et autant le dire : la tâche a été plutôt rude. Si petite je rêvais d’avoir les mêmes paires acrobatiques que les princesses Disney, maintenant que je suis adulte, je me dis que c’est un peu une punition quotidienne.
Je les ai à peine enfilés que je ressemble à un faon qui vient de naître, les pattes tremblantes. J’ai l’impression d’apprendre un nouveau sport. C’est un peu comme quand on enlève les roulettes sur le vélo : il faut un temps d’adaptation. Mais avec de l’entraînement, les enjambées deviennent plus naturelles et fluides. Au bout de deux jours, mon pied commence à s’habituer à cette paire qui ne tient qu’à une pointe.
Le bruit des talons : une présence affirmée
Si au début, je me sentais ridicule avec ces talons indomptables, après 24h d’acclimatation, j’ai pris goût à ce “clac clac” dans la rue. Chaque pas faisait l’effet d’une détonation et résonnait sur le bitume. Dans une société où les femmes cherchent à se faire discrètes, ses talons m’ont permis d’être bruyantes et d’affirmer ma présence. Je n’ai pas cherché à marcher sur la pointe des pieds, ni à couvrir mon talon de mousse, j’ai mis de l’impacte dans chaque foulée.
J’ai eu l’impression d’exister davantage dans l’espace urbain et de laisser planer mon écho dans un milieu hostile, comme un cri du corps. Une façon de reprendre possession des lieux finalement. Ce bruit est devenu une signature sonore, une manière de se faire entendre sans parler et ça s’est répercuté joliment sur ma confiance.
Prendre de la hauteur, marcher différemment
Il faut bien l’avouer, j’ai frôlé la chute à plusieurs reprises avec les talons aux pieds. Entre les bouches d’égout instables, les trottoirs déformés, les bandes podotactiles et les escaliers rétrécis, la ville semblait me tendre des pièges à chaque endroit. Cependant, une fois mes jambes contrôlées, j’ai changé de démarche et j’ai bravé la foule telle une mannequin de la Fashion Week. Dos droit, buste bombé, tête levée… Les talons m’ont presque forcé à me tenir “fière”.
J’ai acquis un étrange sentiment de supériorité, bien que je sois déjà plus grande que la moyenne avec mon mètre 70. Et autour de moi, les regards s’inclinaient, comme pour témoigner un certain respect. Impertinente comme Julia Roberts dans Pretty Woman mais élégante comme Anne Hathaway dans Le Diable s’habille en Prada, j’ai marché avec assurance. Alors que de nombreuses femmes descendent des talons par peur de se faire importuner, j’ai eu l’impression d’intimider quiconque me croisait.
Point noir : quand le glamour fait mal
Au terme de cette semaine érigée sur mon piédestal fantaisie, j’ai compris le sens de cette maudite phrase “il faut souffrir pour être belle”. Les paires de talons musclent peut-être l’égo (et les mollets) mais elles ne sont pas très tendres avec nos pieds. J’ai parfois même envisagé de rentrer pieds nus tellement ces souliers sont douloureux. Une fois le test mode terminé, j’ai dû rattraper les dégâts avec des bains aux cristaux de sel et des masques apaisants.
Entre les ampoules héritées d’un cuir rigide, les tendinites, les fourmis dans les orteils, d’ailleurs comprimés, je n’avais qu’une hâte : enlever mes talons en même temps que mon soutien-gorges. Une personne normalement constituée ne peut pas tenir ce rythme au quotidien.
Ce que j’ai appris de cette semaine perchée
Passer sept jours d’affilée en talons m’a ouvert les yeux sur bien plus que de simples questions de style. Oui, j’ai souffert : mes pieds m’ont rappelé que le confort n’était pas un luxe, mais une nécessité. Pourtant, j’ai aussi découvert une manière différente d’habiter mon corps. Avec quelques centimètres en plus, ma démarche se transformait. Je me redressais, je ralentissais mes pas, je les rendais plus assumés. En talons, on ne traverse pas la ville incognito, on compose avec chaque pavé, chaque escalier, chaque trottoir.
Cette expérience m’a aussi montré que les talons ne sont pas qu’un symbole de féminité imposée : ils peuvent devenir un outil de mise en valeur, un choix conscient. Porter des talons, ce n’est pas céder à une injonction, c’est décider de jouer avec l’image que l’on projette. Et cette liberté-là change tout.
Au terme de cette semaine perchée, je garde un double souvenir : celui d’un corps parfois meurtri, mais aussi celui d’une confiance longue durée. Mais j’ai surtout compris que la vraie élégance, c’est de pouvoir choisir : tantôt talons hauts, tantôt baskets. Les chaussures reflètent la femme que nous voulons être à un moment donné mais elles ne nous définissent pas.