Après avoir passé neuf mois dans sa chrysalide réconfortante, le bébé s’apprête à voir la lumière du jour. Un événement unique qui marque un tournant dans la vie quotidienne. Les pleures du nourrisson remplacent peu à peu le son de la télévision et les nuits s’écourtent. La naissance d’un enfant est un grand bouleversement. Estime de soi en berne, moral dans les chaussettes, angoisse permanente… la dépression post-partum se dessine. Ce mal-être encore sous-estimé toucherait environ 15 % des mères. Plus stupéfiant encore, de récentes études montrent que les pères seraient aussi concernés par la dépression post-partum.
Près de 8 % de jeunes pères concernés
Lors de l’accouchement, la figure paternelle reste souvent dans l’ombre. Pourtant, derrière cette étiquette stéréotypée de l’homme inébranlable, voire passif se cache une certaine fragilité. Selon une étude menée à l’Université de Lund en Suède, près de 8 % des pères seraient touchés par la dépression post-partum.
Aux antipodes du baby-blues qui s’invite de façon passagère dans la vie des parents, cette pathologie, elle, perdure à travers le temps. L’individualité est mise de côté, les responsabilités sont plus importantes, l’impression d’être mis à l’écart domine… autant de sensations inédites qui pèsent sur le moral.
Une période de transition
Chez la femme, la dépression post-partum prend racine assez tôt, dans les premiers mois après l’accouchement. Il y a une chute d’hormones importante, une certaine pression sociétale et une grande fatigue qui se hissent en toile de fond. Ce sentiment d’être submergé, complètement noyé par toutes les tâches grandit au fil des mois. Et chez les femmes, le corps se transforme, il porte les traces de cette grossesse, ce qui peut susciter une forme de peur.
« C’est une vraie transition, c’est un gros effort pour la mère. C’est comme si elle avait fait un marathon et qu’elle n’avait pas de répit. Forcément, quand on arrive à un certain stade d’épuisement, le cerveau ne suit plus », confirme Marie Caucanas, psychologue.
Une dépression plus insidieuse chez l’homme
L’étude suédoise démontre qu’il y a également un fort taux de transmission. Lorsque les mères en souffrent, les pères deviennent plus à risque. Cependant, la dépression post-partum se manifeste différemment chez les pères. Une forme de violence plus accrue va se profiler.
Le père développe une stratégie d’évitement envers son enfant et laisse son cocon familial de côté. « Il y a davantage de passage à l’acte chez le père, une forme de violence physique ou morale. Cela peut se traduire par de l’infidélité, du voyeurisme, des violences intraconjugales« , précise Mathilde Bouychou, psychologue spécialisée en périnatalité. Une analyse qui fait écho à une étude publiée dans JAMA Pediatrics. Les pères interrogés dans le cadre de ces travaux attestaient que la colère, l’agitation, la tristesse et l’irritabilité les avaient traversés.
L’experte confirme également que le timing n’est pas le même que chez les femmes. « La dépression post-partum apparaît plus tardivement chez les pères. Souvent ça se situe entre les 6 mois et 1 an de l’enfant. Ils peuvent aussi déprimer pendant la grossesse et ce n’est pas anodin. » La naissance d’un bébé peut aussi réveiller des conflits familiaux et mettre en lumière des troubles sous-jacents. Conflit avec les parents, représentation faussée de la mère… de nombreux souvenirs peuvent rejaillir et heurter.
En France, la prévention manque à l’appel
Les conséquences sur le développement de l’enfant sont à scruter à la loupe. « Si on ne peut pas répondre aux besoins du nourrisson, que l’on est pas présent pour le rassurer, il se sent en insécurité. Et ce sentiment peut s’inscrire en lui toute sa vie », prévient Marie Caucanas. Malheureusement, la prise en charge de la dépression post-partum du père reste complexe. Les professionnel·le·s de santé restent peu averti·e·s et les hommes se murent dans le silence. Ils refusent de voir la réalité en face et l’accompagnement thérapeutique survient parfois trop tardivement.
« On ne demande pas aux pères comment ils ressentent la situation. Et chez l’homme, il y a aussi cette espèce de fierté, de honte. Ils sont moins enclins à révéler leurs émotions », constate Mathilde Bouychou.
D’ailleurs, cette souffrance intérieure qui traverse les nouveaux pères reste encore entourée d’un grand tabou. Bien plus qu’un simple « daddy-blues », la dépression post-partum peut parfois briser une famille. D’où l’importance d’ouvrir le dialogue et de redorer le blason des papas.
Les deux thérapeutes tirent la sonnette d’alarme et affirment qu’il y a un certain manque de prévention en France. Seule évolution : depuis 2015, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) invite les sages-femmes du monde entier à mieux considérer les pères.
La route vers le progrès est encore longue, mais un brin d’optimisme s’esquisse. Des recherches sont en cours pour optimiser le bien-être et le développement des enfants comme des parents. Envie de témoigner sur votre dépression post partum en tant que père ou mère ? On vous attend sur le forum, dans la rubrique Confiance en soi.