Mourir ensemble : pourquoi les couples âgés sont de plus en plus conquis par cette idée ?

Rendre son dernier soupir dans les bras de sa moitié et quitter le monde des vivants main dans la main. Ce scénario très shakespearien n’est pas le fruit d’un conte Disney ou d’une comédie romantique. Il se tient au grand jour, dans le monde réel. Comme l’ex-Premier ministre néerlandais et sa femme, de plus en plus de couples campés par la maladie préparent leur voyage vers l’au-delà ensemble. Les séniors, sans issue médicale, décident de rejoindre le paradis blanc en même temps. Une façon de rester fusionnels, même dans la mort. Si mourir ensemble semble être l’acte « romantique » ultime, cet adieu en harmonie nécessite un cadre. 

Le cas de l’ex-Premier ministre néerlandais et sa femme

Condamnés tous les deux par une maladie incurable, l’ex-Premier ministre néerlandais Dries van Agt et sa femme Eugénie ont fait le choix de mourir ensemble. Leurs cœurs, qui ont battu à l’unisson pendant près de 70 ans, ont cessé de fonctionner en harmonie le 5 février dernier. Tous deux âgés de 93 ans et reliés par une alchimie puissante, ils ont eu recours à l’euthanasie en duo, autorisée dans leur pays.

Leur destin a été scellé au moment où leur souffle s’est arrêté. Lui avait fait une hémorragie cérébrale en 2019 dont il ne s’était pas remis tandis que son épouse avait une santé décadente. Mutuellement, ils se sont donc dit « oui » pour mourir ensemble et concrétiser ce pacte de l’éternité. Un tableau à la fois tragique et attendrissant qui aurait toute sa place dans un roman à l’eau de rose ou un film d’auteur.

À l’image de ce tandem de personnalités publiques, d’autres âmes sœurs ont aussi choisi de déserter leur enveloppe humaine bras dessus, bras dessous. Selon le média The Guardian, 26 personnes ont été euthanasiées en même temps que leur moitié en 2020 aux Pays-Bas. Ce nombre a été multiplié par deux en deux ans. Toutefois, contrairement à une fiction, cette mort partagée implique certaines conditions strictes auxquelles tous les couples ne sont pas « éligibles ».

Pour mourir ensemble en toute légalité, il faut notamment que le.a patient.e soit atteint.e d’une maladie insoluble et qu’iel ait formulé sa demande à l’écrit. « Les deux personnes doivent avoir consulté chacune un.e praticien.ne différent.e, et toutes deux doivent remplir la totalité des critères », précise le média NL Times.

Mourir ensemble, des histoires qui font les gros titres en France

Toutes les romances ne se finissent pas aussi paisiblement que celles de l’ex-Premier ministre néerlandais et sa femme, partis en douceur au-dessus du ciel. En France, les couples qui décident de mourir ensemble sont d’ailleurs souvent placardés dans la rubrique fait divers. C’était le sombre sort de Bernard et Georgette Cazes âgés de 86 ans. Leurs corps sans vie avaient été découverts dans une chambre du Lutetia, hôtel prestigieux de la capitale.

Elle, frappée par un cancer incurable et lui, par Alzheimer, ils ont préféré se dire adieu à l’unisson et abréger leur quotidien morne. Ils ont plongé leur visage dans un sac plastique et attendu que la mort les attrape. Comme pour marquer une dernière noce funèbre. Rebaptisés les « amants du Lutetia », leur suicide « coordonné » avait fait le tour des médias.

D’ailleurs, ce récit n’est pas isolé. En 2007, un couple de séniors avait fui sa maison de retraite pour se jeter sur les rails. Plus récemment, dans une commune de Seine-Maritime, Monique et René Clugéry ont plongé dans un sommeil éternel, enlacés. Elle était âgée de 77 ans et avait la maladie d’Alzheimer tandis que lui était envahi par Parkinson. Selon l’autopsie, le mari aurait étouffé sa femme dans son sommeil avant de se donner la mort.

Ces narrations morbides, accrochées à la page la plus sinistre des journaux, prouvent que mourir ensemble n’est pas forcément aussi « rose » que dans les contes de fées. Ce choix est souvent le résultat d’un désespoir mutuel ou d’une usure « insoutenable » de la vie. Une problématique qui relance le débat sur l’euthanasie en France, qui permettrait une mort « volontaire » plus « digne » et « structurée ».

Une décision symbolique, signe d’un amour éternel

Dans la fleur de l’âge, les couples se promettent un amour à toute épreuve et dans les dernières années de leur vie, ils articulent le souhait de mourir ensemble et de rester liés jusque sur leur linceul. Un accord funéraire, établi dans l’intimité, qui s’avère chargé de sens. Pour ces séniors, qui n’ont généralement eu qu’un.e seul.e partenaire de vie, c’est une expression suprême de leur amour indéfectible. Iels ne peuvent concevoir leur existence sans leur amour de toujours, cette personne avec qui iels se sont construit.e.s.

Cette vision de l’amour témoigne de la profondeur de leur relation et de leur croyance en une union qui dépasse les limites de la vie terrestre. Loin d’être un sacrifice, c’est avant tout une marque quasi « divine » de dévouement et de soutien envers l’autre. Pour beaucoup, mourir ensemble revient à donner une dimension sacrée à la relation. À la faire perdurer jusqu’à la porte de l’au-delà. C’est la « suite logique » d’une romance impérissable. Une manière de clore le chapitre final de leur vie humaine, en osmose. Sur le papier, cette mort « dédoublée » fait fondre les cœurs. Mais dans les faits, elle soulève aussi quelques questions sur l’emprise et la dépendance affective.

Une pratique romancée qui trouve aussi ses limites

Aux Pays-Bas, mourir ensemble est presque une « formalité ». La pratique est inscrite dans les mœurs. Or, dans l’Hexagone, aucune loi n’est prévue à cet effet. Les couples, en proie à la maladie, qui souhaitent « passer de l’autre côté » paume contre paume s’exécutent donc parfois dans des circonstances effroyables. Comme le décrit la psychanalyste Marguerite Charazac-Brunel au média Le Figaro, le pacte de suicide est plus une légende qu’une réalité en France. En revanche, l’homicide-suicide, lui, est tristement « ordinaire » et bien plus pervers. La spécialiste en fait l’état d’en moyenne une vingtaine par mois.

L’autre tue sa moitié avant de trépasser à son tour. Dans cette perspective, l’acte n’a pas forcément été discuté en amont ou fait l’objet d’une conversation. Il est perpétré de façon totalement « indépendante », sans concertation préalable, ce qui, au sens juridique et moral, est un meurtre. La psychanalyste précise que bien souvent le conjoint « assassin » est l’homme. Ce dernier part du postulat que sa femme ne pourra pas assumer sa vie sans lui ni avancer. Alors il prend l’initiative d’interrompre son existence en même temps que la sienne. Un crime souvent défendu en « amour passionnel » qui traduit surtout une domination sur la vie de l’autre.

Mourir ensemble pour graver son amour dans le marbre (au sens propre et figuré) concerne une minorité de couples. Pourtant, force est de constater que cette mort jumelée traverse de plus en plus les esprits. Un phénomène paradoxal à l’heure où les couples se délient sans cesse.

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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