Qu’est-ce que le wokisme, ce mouvement social qui a le vent en poupe ?

Le wokisme, aussi connu sous le nom de culture woke, se mêle régulièrement à la sauce politique. Tombée dans le chaudron des grands débats de la présidentielle, cette idéologie basée sur la justice sociale et la défense des minorités est devenue un vaste fourre-tout. Venue des États-Unis, cette mouvance qui s’élève contre les inégalités est de plus en plus détournée par les conservateur.rice.s.

Cette fièvre actuelle autour du woke a de bons côtés comme des mauvais. Cet anglicisme qui signifie « éveillé » a fini par endormir son monde. Le woke, théorisé par Martin Luther King, mérite une petite clarification.

Qu’est-ce qui se cache derrière le mot « wokisme » ?

Si on vous dit « woke », vous pensez au fameux plat asiatique ? Faux. Même si aujourd’hui, il se cuisine aux petits oignons sur tous les plateaux TV, le woke est le participe passé du verbe anglais « wake up », « se réveiller ». Une appellation imagée qui en dit long sur la visée de cette idéologie.

Être woke c’est être conscient.e, averti.e ou soucieux.se des problèmes de justice sociale, de racisme ou toute autre discrimination visant des minorités (ethniques, sexuelles, sociales, religieuses, environnementales). Ces violences systémiques héritées depuis des siècles sont si ancrées qu’elles finissent par aveugler le plus grand nombre. Le wokisme a donc pour vocation d’ôter ces œillères et de refonder le système de l’intérieur, en s’appuyant par exemple sur la cancel culture. Sexisme, racisme, homophobie, écologie, patriarcat… le wokisme a des angles d’attaque variés.

À l’origine du wokisme, la lutte contre le racisme envers les Afro-Américain.e.s

Le wokisme, argument en libre-service, entendu dans la bouche de Jean-Michel Blanquer et de Sandrine Rousseau a tellement fait parler de lui qu’il siégera pour la première fois dans les pages du Petit Robert 2023. Remis au goût du jour dans l’univers politico-médiatique, ce mouvement de pensée qui déchire les partis remonte aux années 60.

Si certain.e.s relèguent le woke à une « folie américaine supplémentaire », d’autres y perçoivent un militantisme d’utilité publique. Aujourd’hui le sens initial du wokisme s’effondre sous le poids d’une utilisation excessive. Pourtant à ses racines se trouve un combat très symbolique, celui des activistes noir.e.s.

À la base, le mot « woke » c’est un cri de ralliement, une alerte générale pour réveiller les consciences sur un racisme virulent. En juin 1965, Martin Luther King, figure emblématique de la défense des droits civiques, le glisse à plusieurs reprises dans son discours à l’université Oberlin dans l’Ohio.

Un lien fort avec le mouvement Black Lives Matter

Après une longue période d’éclipse, ce terme revient en force en 2014, lors des émeutes de Ferguson. C’est la mort d’un jeune homme noir Mickaël Brown, tué sans motifs par un policier blanc qui dépoussière le wokisme. Il renaît de ses cendres avec une portée beaucoup plus grande.

Le hashtag #StayWoke s’égraine alors massivement sur les réseaux, sculptant au wokisme une renommée mondiale. Véritable phénomène social, il devient même un emblème à l’heure du mouvement Black Lives Matter. En France, ce mouvement vent debout contre tous types d’oppressions portées envers les minorités, n’est pas toujours perçu d’un bon œil.

En 2021, les fidèles de la culture woke jetaient par exemple leur dévolu sur des statues polémiques. Pour eux, les figures comme Jean-Baptiste Colbert, précurseur du Code Noir, devaient débarrasser les villes. Mais pour Emmanuel Macron, pas question d’enterrer l’Histoire du pays en déboulonnant ces statues. Les candidats de droite s’en servent désormais pour affûter leurs speechs politiques.

Le wokisme, un mouvement progressiste qui a perdu de sa force

L’an dernier, Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’Éducation comparait le wokisme à un « nouvel obscurantisme ». Xavier Bertrand, ex-député, tirait un portrait guère meilleur en évoquant « un poison sans pareil pour la société ». Côté extrême droite, l’aversion envers le wokisme est encore plus palpable.

Selon Nicolas Dupont-Aignan, les dérives de l’idéologie « woke » causeraient la montée d’une intolérance aux opinions opposées, et un muselage de la liberté d’expression. Le wokisme, créé pour ouvrir les mentalités, essuie un lynchage politique d’envergure, surtout encouragé par la droite. Au fil des années, le mot « woke » s’est ainsi fait dépouiller de son sens initial.

Une connotation péjorative

Pour cause, en France cette poursuite des injustices a rapidement viré à l’obsession, devenant parfois très caricaturale. Statues d’esclavagistes déboulonnées, conférences universitaires annulées, responsables démis de leurs fonctions… le wokisme s’est « radicalisé » et flirte doucement avec la frontière du « tolérable ».

La culture woke est scandée à tort et à travers pour justifier certains actes superficiels qui desservent le bien commun. Et les détracteur.rice.s s’en frottent les mains. Iels se servent de ces dérives pour décrédibiliser certaines luttes, pourtant vitales. Les conservateur.rice.s se sont par exemple indigné.e.s lors de l’entrée du pronom « iel » dans Le Robert. Iels accusaient le célèbre dictionnaire de « céder au wokisme ».

Pour résumer le wokisme d’hier, émancipateur et porteur, a été réduit à un vulgaire jouet politique agité à la moindre révolte sociale. Beaucoup s’en servent sans vraiment connaître sa signification première. Selon un sondage IFOP, seuls 14 % des Français.es ont déjà entendu ce mot.

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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