Pourquoi et comment les cheveux sont devenus un symbole de lutte féministe ?

Depuis la mort injuste de Masha Amini, les femmes iraniennes brandissent leur mèche de cheveux, comme un puissant totem de protestation. Ce geste capillaire, devenu viral sur les réseaux sociaux, a même gagné les stars françaises. Et il fait écho à de nombreux autres combats passés.

Depuis les années 20, les révoltes féministes se déclinent jusqu’au bout des pointes. Que ce soit pour se libérer du patriarcat, lutter contre les injonctions ou s’émanciper, les femmes décoiffent les normes en s’appuyant sur l’art du ciseau. Mais que se cache-t-il à la racine de cette révolte de la crinière ? On vous éclaire. 

En Iran, abandonner ses cheveux, un acte politique

Sur fond de « femme, vie, liberté », les femmes iraniennes font tomber leur chevelure à coups de ciseaux affirmés. Un signe de soutien à Masha Amini, tragiquement devenue une figure de la rébellion actuelle. Ce ralliement capillaire se tresse sans frontières sur la toile. C’est même devenu un emblème mondial de ce soulèvement féminin.

Isabelle Huppert, Angèle, Marion Cotillard, Murielle Robin… face caméra, les célébrités françaises sacrifient, elles aussi, une mèche en hommage à cette sœur tuée impunément. Mais en Iran, pays où le voile est obligatoire, ce mouvement capillaire transporte avec lui une ferme volonté de renouveau. Dans cette contrée dictée par un régime Islamique autoritaire, les cheveux sont toujours épinglés comme un attribut sexuel.

Pour aller contre la rengaine « cachez cette crinière que je ne saurais voir », les Iraniennes emploient parfois les grands moyens. En 2016, une jeune femme iranienne décide de se raser le crâne, par solidarité avec des enfants atteints de cancer. Elle prend ensuite le parti de sortir sans voile dans la rue. « Pas de cheveux, pas de police des mœurs », déclarait-elle dans un post Facebook envoyé sur la page My Stealthy Freedom.

Si dix ans en arrière, les Iraniennes laissaient timidement le voile au placard, aujourd’hui elles arrachent une partie d’elles avec assurance. Renoncer à ses cheveux, fruit défendu qui ébouriffe les mollahs, est une forme de militantisme on ne peut plus signifiante. Aux yeux de la République islamique, l’acte est semblable à une mutilation.

Les cheveux féminins, passés de fantasmes à outils de luttes

De la Joconde à Vénus en passant par Raiponce, les cheveux longs s’emmêlent dans la culture depuis la nuit des temps. Problème : ils traînent avec eux une connotation sensuelle et mystique assez coriace. Stéréotype de la féminité, la chevelure démesurée fait tourner la tête de ces messieurs.

Dans son livre Le Deuxième Sexe, Simone de Beauvoir remonte aux sources de cette admiration quasi légendaire. Et ça n’a rien de glamour, au contraire. Au temps des cavernes, les hommes de Cro-Magnon saisissaient les femmes par la crinière pour les embarquer dans la grotte et procréer. C’était donc surtout pratique pour eux. Vous trouvez que cette histoire est tirée par les cheveux ? Pourtant, c’est le point de départ de nombreuses croyances.

Marqueur de fécondité, d’attraits sexuels et de beauté surnaturelle, les cheveux longs se forgent une réputation dorée au fil des époques. Les hommes y perçoivent un potentiel séduction qui dépasse la raison. Fétichisée par des écrivains tels que Baudelaire, cette chevelure déployée en cascade devient une norme sociale. Condamner Jeanne d’Arc à la tonte capillaire était alors l’humiliation suprême pour une femme. Au XVe siècle, la « pucelle » de Domrémy arborait la coupe courte avec audace. Mais ce choix osé était un péché mortel, décrit par les textes comme « une atteinte à l’honnêteté du sexe féminin ».

La coupe carré des années Folles, une révolution

Il faut attendre la Guerre 14-18 pour que cette vision très « masculine » du cheveu bascule. Les femmes prennent le poste des hommes dans les usines et se complaisent dans cette indépendance nouvelle. Encombrants et difficiles d’entretien, les cheveux longs sont de moins en moins appréciés. Et c’est Colette, femme de lettres à contre-courant qui lance un pavé dans la mare en disant bye-bye à sa natte. Naît ensuite la fameuse « coupe garçonne » des années Folles.

​​Eleanor Roosevelt, l’actrice Greta Garbo ou encore l’iconique Coco Chanel saute le pas de ce rétrécissement capillaire à la frontière du « masculin ». Cette tendance du « très court » qui occupe les têtes les plus prestigieuses chahute les injonctions et fige ce désir de liberté. En finir avec les longueurs est aussi salvateur que revêtir le pantalon ou quitter le corset.

Aujourd’hui encore cette adoration du « bob » rayonne au détour de « coupes pixies ». Et les mentalités ont aussi eu droit à un petit rafraîchissement. Si l’on en croit la science, les hommes trouvent les femmes aux cheveux courts aussi attirantes que celles qui ont les cheveux longs.

Le « natural hair movement », libérateur pour les afro-féministes

Nul besoin d’en arriver à la radicalité du ciseau pour s’affirmer. En témoigne le « natural hair movement » ou « mouvement nappy », né dans les années 2000 outre-Atlantique. Les cheveux afros, souvent relégués au rang de l’indomptable et du disgracieux, se dévoilent alors au naturel, sans artifices. Angela Davis et Nina Simone étaient les pionnières en la matière. En 1960, les deux activistes relâchaient leurs frisettes pour faire honneur à leur culture, longtemps dénigrée.

Être Nappy, c’est donc être fier.ère de ses origines et de son identité. Et cette bataille pacifiste commence à porter ses fruits. En mars dernier, la Chambre des représentants faisait entrer le CROWN Act dans la loi. Ce texte vise à interdire les discriminations capillaires dans le pays.

Au 21e siècle, des choix capillaires plus audacieux

Selon les statistiques, il faudrait encore patienter 132 ans pour atteindre l’inespérée égalité homme-femme. En attendant, pas question de baisser l’arme des tifs. Les années 2000 ont d’ailleurs marqué un tournant radical dans cette grogne capillo-centrée. Entre la boule à zéro démocratisée par Britney Spears ou les colorations néon intégrales, les idées ne manquent pas.

Et cette révolte féministe « soft » se déporte également sur d’autres zones du corps. La coloration des poils d’aisselles accompagne ainsi ce cri des cheveux, déjà puissant. La chanteuse Miley Cyrus, d’ailleurs fidèle à la coupe courte, affichait fièrement ses aisselles poilues couleur rose bubble gum sur Instagram. C’est donc une histoire de poils au sens large.

Au-delà de leur intérêt esthétique, les cheveux permettent de faire bouger les lignes. Blason du progrès féminin, ils n’hésitent pas à se plier en quatre pour balayer les diktats. Et ce symbole inépuisable attire l’intérêt général. En Italie, un musée recueille les cheveux des femmes pour garder une trace de la révolte iranienne. 

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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